Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/208

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Son intention, en le prenant, n’était pas d’en user pour sa défense, car il avait toujours estimé qu’il n’appartenait qu’à une âme lâche de se lancer dans une entreprise quelconque avec un avantage sur son adversaire. Mais il voulait la jeter dans un lieu où elle ne pourrait plus jamais nuire à personne. C’est pourquoi il emporta avec lui la poudre, les balles et tout ce qui servait à cette arme.

Et, dès qu’il fut sorti du port, et qu’il se vit arrivé à l’endroit où la mer était la plus profonde, de sorte que, sur l’un et l’autre rivage, on n’apercevait aucun signe lointain, il la prit et dit : « Afin que plus jamais chevalier ne se confie à toi, et que le lâche ne se puisse vanter de valoir plus que le brave, reste engloutie ici.

« Ô maudite, abominable invention, forgée au plus profond du Tartare par les mains mêmes du malin Belzébuth, dans l’intention de couvrir le monde de ruines, je te renvoie à l’enfer d’où tu es sortie. » Ainsi disant, il la jette dans l’abîme, pendant que les voiles, gonflées par le vent, le poussent sur le chemin de l’île cruelle.

Le paladin est pressé d’un tel désir de savoir si sa dame s’y trouve, sa dame qu’il aime plus que tout l’univers ensemble, et sans laquelle il ne peut pas vivre une heure joyeux, qu’il ne met pas le pied en Hibernie, de peur d’être obligé de consacrer son temps à une œuvre nouvelle et d’être réduit plus tard à dire : Hélas ! pourquoi ne me suis-je-point hâté davantage !

Il ne permet pas non plus d’aborder en Angle-