Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/249

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qu’une forteresse ne peut se défendre efficacement quand les ennemis ont pénétré dans ses murs, ainsi l’orque ne pouvait se défendre du paladin qu’elle avait dans la gueule.

Vaincue par la douleur, tantôt elle s’élance hors de la mer et montre ses flancs et son échine écailleuse ; tantôt elle plonge, et, avec son ventre, elle remue le fond et fait jaillir le sable. Sentant que l’eau devient trop abondante, le chevalier de France se met à la nage. Il sort de la gueule où il laisse l’ancre fixée, et prend dans sa main la corde qui pend après.

Et avec cette corde, il nage en toute hâte vers le rivage. Il y pose solidement le pied, et tire à lui l’ancre dont les deux pointes étaient serrées dans la bouche du monstre. L’orque est forcée de suivre le câble mu par une force qui n’a pas d’égale, par une force qui, en une seule secousse, tire plus que ne pourraient le faire dix cabestans.

De même que le taureau sauvage qui se sent jeté à l’improviste un lazzo autour des cornes, saute deçà, delà, tourne sur lui-même, se couche et se lève, sans pouvoir se débarrasser, ainsi l’orque, tirée hors de son antique séjour maternel par la force du bras de Roland, suit la corde avec mille soubresauts, mille détours étranges, et ne peut s’en détacher.

Le sang découle de sa bouche en telle quantité, que cette mer pourrait s’appeler en ce moment la mer Rouge. Tantôt elle frappe les ondes avec une telle force, que vous les verriez s’ouvrir jusqu’au