Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/41

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l’Ardenne et non loin l’une de l’autre. D’amoureux désirs l’une emplit le cœur ; qui boit à l’autre, reste sans amour et change complètement en glace sa première ardeur. Renaud a goûté à l’une, et l’amour le ronge ; Angélique a bu à l’autre, et elle le hait et le fuit.

Cette eau, d’un secret venin mélangée, qui change en haine l’amoureux souci, fait que la dame que Renaud a devant les yeux subitement obscurcit ses regards sereins. D’une voix tremblante et le visage triste, elle supplie Sacripant et le conjure de ne pas attendre que ce guerrier soit plus proche, mais qu’il prenne la fuite avec elle.

« Je suis donc, — dit le Sarrasin — je suis donc en si petit crédit près de vous, que vous me regardiez comme inutile et incapable de vous défendre contre celui-ci ? Les batailles d’Albracavous sont donc déjà sorties de la mémoire, ainsi que la nuit où je sus, pour votre salut, vous défendre, seul et nu, contre Agrican et toute son armée ? »

Elle ne répond pas et ne sait plus ce qu’elle fait, car Renaud est désormais trop près d’elle. De loin, il menace le Sarrasin, dès qu’il voit le cheval et le reconnaît. Il reconnaît aussi l’angélique visage qui lui a mis au cœur l’amoureux incendie. Ce qui se passa ensuite entre ces deux chevaliers hautains, je veux que pour l’autre chant cela soit réservé.