Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/92

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lui ; mais celui-ci s’arrête et ne veut pas le suivre.

Ce vaillant descend alors de Frontin — son destrier se nommait Frontin — et monte sur celui qui s’en va par les airs, et avec les éperons excite son impétueuse ardeur. Celui-ci galope un moment ; puis, s’appuyant fortement sur ses pieds, il prend son élan vers le ciel, plus léger que le gerfaut auquel son maître lève à temps le chaperon et montre l’oiseau.

La belle dame, qui voit son Roger si haut et dans un tel péril, reste tellement interdite, qu’elle ne peut de longtemps revenir au sentiment de la réalité. Ce qu’elle a autrefois entendu raconter de Ganymède, qui, de l’empire paternel, fut enlevé au ciel, lui fait craindre que pareille chose n’arrive à Roger, non moins aimable et non moins beau que Ganymède.

Les yeux fixes, elle le suit dans le ciel tant qu’elle peut le voir ; mais comme il s’éloigne tellement que la vue ne peut aller si loin, elle laisse toujours son âme le suivre. Cependant elle soupire, gémit et pleure, et n’a et ne veut avoir paix ni trêve à son chagrin. Quand Roger s’est tout à fait dérobé à sa vue, elle tourne les yeux vers le bon destrier Frontin. Et elle se décide à ne pas l’abandonner, car il pourrait devenir la proie du premier venu ; mais elle l’emmène avec elle pour le rendre à son maître, qu’elle espère revoir encore.

Le cheval-oiseau s’élève toujours, et Roger ne peut le refréner. Il voit au-dessous de lui les hautes cimes s’abaisser de telle