Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/101

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montre. Il avait déployé l’arsenal de sa colère contre toutes les femmes, et sans faire de différence entre elles ; soudain, un regard d’Isabelle l’a si fort touché, qu’il le fait subitement changer de sentiment. Déjà il la désire pour remplacer son ancienne maîtresse, et il l’a vue à peine et ne sait pas encore qui elle est.

Et comme son nouvel amour l’excite et l’échauffe, il met en avant toutes sortes de mauvaises raisons pour rompre l’entière et saine pensée qu’elle avait entièrement tournée vers le Créateur de toutes choses. Mais l’ermite, qui lui sert de bouclier et de cuirasse, la réconforte autant qu’il peut par les plus fermes et les plus solides arguments, afin que la chaste pensée ne soit point détruite.

Le païen impie supporte assez longtemps, bien qu’avec ennui, l’audace du moine ; en vain il lui dit qu’il peut, quand il lui plaira, retourner sans sa compagne à son désert. Quand il voit que le vieillard lui nuit ainsi à visage découvert, et qu’il ne peut en obtenir ni paix ni trêve, il lui porte avec fureur la main au menton, et lui arrache autant de poils de la barbe qu’il peut en saisir.

Et sa fureur croît à tel point, qu’il lui serre le cou dans ses mains comme avec une tenaille. Puis, après l’avoir fait tournoyer une ou deux fois en l’air, il le lance du côté de la mer. Ce qu’il en advint, je ne le sais, ni ne le dis. Il y a plusieurs versions à ce sujet. Les uns disent qu’il alla se briser contre un rocher, et qu’on ne pouvait distinguer ses pieds de sa tête.