Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/110

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Si ceux qu’il abattait étaient païens, Rodomont se contentait de les dépouiller de leurs armes qu’il suspendait aux marbres de la chapelle, après y avoir fait inscrire les noms de ceux à qui elles avaient d’abord appartenu. Mais il retenait prisonniers tous les chrétiens, et les envoyait ensuite en Algérie. Les constructions n’étaient pas encore achevées, lorsque le fou Roland vint à passer par là.

Le comte, dans sa folie, arriva par hasard sur les bords de cette grande rivière, où Rodomont, comme je vous l’ai dit, faisait bâtir en grande hâte. La tour ni le sépulcre n’étaient terminés, et le pont l’était à peine. Le païen armé de toutes pièces, hors son casque, se trouvait justement sur le pont, au moment où Roland y arriva.

Roland, poussé par sa folie furieuse, franchit la barrière et se met à courir sur le pont. Mais Rodomont, la face troublée par la colère — il se tenait à pied en avant de la grande tour — crie de loin après lui et le menace, ne le jugeant pas digne de le repousser avec l’épée : « Arrête-toi, vilain, indiscret, téméraire, importun et arrogant.

Ce pont est fait uniquement pour les seigneurs et les chevaliers, non pour toi, bête brute. » Roland, dont la pensée était fort loin, s’avance toujours et fait la sourde oreille. « Il faut que je châtie ce fou », dit le païen. Et, dans cette intention, il s’élance pour le précipiter dans l’eau, ne pensant point trouver qui lui réponde.

En ce moment, une gente damoiselle arrive sur les bords du fleuve et s’apprête à passer le pont.