Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/129

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raissez me tenir en peu d’estime, puisqu’un Roger seul vous fait trembler pour moi.

« Vous devriez cependant vous rappeler que seul, et n’ayant ni épée ni cimeterre, j’ai avec un tronçon de lance exterminé une troupe de chevaliers armés. Gradasse, bien qu’il en ait vergogne et dépit, raconte à qui le lui demande qu’il fut mon prisonnier dans un château de Syrie ; et pourtant il a une bien autre renommée que Roger.

« Le roi Gradasse ne nie point également, votre Isolier et Sacripant savent aussi — je dis Sacripant, roi de Circassie, — et le fameux Griffon et Aquilant, et cent autres et plus, qu’ayant été faits prisonniers quelques jours auparavant à ce passage, je les délivrai tous, mahométans et gens baptisés, le même jour.

« Leur étonnement dure encore des grandes prouesses que je fis en ce jour et qui dépassèrent ce que j’aurais pu faire si j’avais eu autour de moi, comme ennemis, les armées des Maures et des Francs. Et maintenant Roger, un simple jouvenceau, pourrait, dans un combat seul à seul, être pour moi sujet de péril ou d’affront ? Et maintenant que je possède Durandal et l’armure d’Hector, Roger doit-il vous faire peur ?

« Ah ! pourquoi n’ai-je pas eu besoin de vous conquérir tout d’abord par les armes ! Je vous aurais tellement rendue certaine de ma vaillance, que vous pourriez déjà prévoir la fin destinée à Roger. Séchez vos larmes, et de par Dieu ne me faites pas un présage aussi triste. Soyez persuadée