Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/180

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qu’elle prit dans sa. bouche pour s’empêcher de crier. Se rappelant ce que le chevalier lui avait dit, elle tomba dans une telle douleur, que ne pouvant la contenir plus longtemps, force lui fut de l’exhaler en ces termes :

« Malheureuse ! à qui dois-je croire désormais ? Tous sont perfides et cruels, puisque tu es cruel et perfide, ô mon Roger, toi que je tenais pour si dévoué et si fidèle. Quelle cruauté, quelle trahison coupable trouveras-tu dans les tragédies, qui ne soit moindre que la tienne, si tu veux songer à ce que je méritais et à ce que tu me devais ?

« Pourquoi, Roger, alors qu’il n’existe pas au monde de chevalier plus hardi, plus beau que toi, ni qui t’égale en vaillance, en belles manières et en courtoisie ; pourquoi ne fais-tu pas en sorte qu’entre toutes tes autres vertus si éclatantes, on dise que tu possèdes aussi la constance, et que tu gardes inviolable la fidélité, cette vertu devant laquelle toutes les autres cèdent et s’inclinent ?

« Ne sais-tu pas que, sans elle, la vaillance et les nobles manières ne sont rien ? C’est ainsi que les plus belles choses ne peuvent se voir là où la lumière ne les éclaire point. Il te fut facile de tromper une damoiselle dont tu étais le seigneur, l’idole et la divinité, et à qui tu aurais pu, avec une parole, faire croire que le soleil est obscur et froid.

« Cruel, de quelle faute auras-tu du remords, si tu ne te repens point de tuer qui t’aime ? Si