Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quel était ce vieillard, et pourquoi jetait-il à l’eau, sans aucun profit, tous ces beaux noms ; quels étaient ces oiseaux ; quel était ce lieu vénéré d’où la belle nymphe sortait pour descendre vers le fleuve ? Astolphe brûlait du désir de connaître ces grands mystères et leur sens caché. Il interrogea sur tout cela l’homme de Dieu qui lui répondit ainsi :

« Tu sauras que pas une feuille ne remue sur terre, sans qu’un mouvement analogue ne se produise ici. Il existe une corrélation intime entre toutes les choses de la terre et du ciel, corrélation qui se manifeste d’une façon différente. Ce vieillard, dont la barbe inonde la poitrine, et qui est si agile que rien ne peut l’arrêter, produit ici les mêmes effets, et se livre au même travail que le Temps sur la terre.

« Aussitôt que les fils ont été dévidés sur le rouet, la vie humaine prend fin sur la terre. De la renommée qu’elle a acquise là-bas, il reste ici un écho. Cette renommée et son écho seraient tous deux immortels et divins, s’ils n’étaient emportés, ici par le gouffre sombre et là-bas par le Temps. Le vieillard les jette ici dans le fleuve, comme tu vois, et le Temps les submerge là-bas dans l’éternel oubli.

« Et de même qu’ici les corbeaux, les vautours, les corneilles et les oiseaux de toute espèce s’efforcent tous d’arracher aux eaux du fleuve les noms qu’ils voient briller le plus, ainsi là-bas les ruffians, les flatteurs, les bouffons, les débauchés, les