Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 3.djvu/292

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sans pitié pour elle qui était grosse de vous, et sans songer que vous étiez de leur race.

« Mais la Fortune qui vous avait désignés, bien que non encore nés, pour de glorieuses entreprises, fit aborder la barque sur des rivages inhabités. C’est là, qu’après vous avoir mis au monde, l’âme généreuse de Galacielle retourna au paradis, selon la volonté de Dieu. Votre destin voulut que je me trouvasse près de là.

« Je donnai à votre mère une sépulture honnête, telle qu’on pouvait en donner sur une plage aussi déserte. Quant à vous, tendres orphelins, je vous pris dans ma robe, et je vous emmenai avec moi sur le mont Carène. Je fis sortir de la forêt, où elle abandonna ses petits, une lionne que j’apprivoisai avec beaucoup de peine, et que je forçai à vous allaiter tous les deux pendant dix et dix mois.

« Un jour que je m’étais éloigné de notre demeure pour visiter la contrée d’alentour, survint une bande d’Arabes — il doit peut-être vous en souvenir — qui vous surprirent sur la route, et t’enlevèrent, ô Marphise. Ils ne purent en faire autant de Roger dont la fuite fut plus rapide. Ta perte m’affligea profondément, et je veillai sur Roger avec plus de soins encore.

« Tu sais, Roger, si, pendant qu’il vécut, ton maître Atlante sut te garder. J’interrogeai pour toi les étoiles. J’appris d’elles que tu devais mourir par trahison chez les chrétiens. Afin de conjurer cette fatale destinée, je m’efforçai de te tenir éloigné de tous. Par la suite, ne pouvant plus m’opposer