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526 — No 3720
13 Juin 1914
L’ILLUSTRATION

entassés sur la voie ferrée, réussit à atteindre et occuper l’usine électrique.


L’amiral Fletcher et le général mexicain Maas sur le Florida avant l’attaque de Vera-Cruz par les Américains.

Ce jour-là, les Américains renoncent à s’avancer davantage. Pour camper, ils se barricadent comme ils le peuvent avec des planches, des sacs de farine, des futailles. Au soir, ils tombent à terre, harassés et fourbus par ces combats auxquels ils ne s’attendaient pas.

De cette première journée d’opérations, une première conclusion se dégage. Les 700 Américains débarqués n’ont rencontré devant eux qu’une ou deux centaines au plus de tireurs isolés. Et, cependant, malgré la perfection de leur matériel et de leur équipement, malgré leur supériorité numérique, malgré leurs canons et leurs mitrailleuses, malgré leurs officiers d’élite, il leur a fallu plusieurs heures de combat pour occuper seulement deux rues où ils se trouvent continuellement harcelés. Dès l’annonce du débarquement, la garnison mexicaine, environ 280 hommes commandés par le général Maas, a battu en retraite. On peut croire que, si elle avait opéré un vigoureux retour offensif quand les Américains étaient tous à terre, leur présence paralysant les canons des navires, elle aurait réussi, ce premier jour, à rejeter les envahisseurs à la mer.

Les Américains avaient l’intention d’occuper seulement la gare et la douane de Vera-Cruz. À cause de la résistance qu’on leur a opposée et des attaques dont ils sont l’objet, il leur faut occuper toute la ville ou s’en aller. C’est là une première surprise et une première complication. Ils viennent de faire le premier pas périlleux dans le « guêpier mexicain »…

Pendant la nuit, des renforts importants arrivent aux Américains. Vers 8 heures ½ du soir, les croiseurs San Francisco et Chester, partis de Tampico à toute vapeur, viennent mouiller devant la passe. Plus tard, deux divisions d’énormes cuirassés, avec le contre-amiral Badger, commandant en chef la flotte de l’Atlantique, approchent à leur tour.

Dès la première heure du jour, les corps de débarquement, environ 350 hommes par cuirassé, descendent à terre. On les organise en une brigade de trois régiments d’infanterie à quatre bataillons avec un bataillon d’artillerie, sous la haute direction de l’amiral Fletcher. Le 1er régiment se forme en colonne devant la douane ; le 3e régiment se met en ligne devant la gare et dans la rue de Montésinos ; le 2e régiment est débarqué en face de la douane et va longer les quais. Chaque régiment est commandé par un capitaine de vaisseau. C’est aussi un capitaine de vaisseau qui coordonne les mouvements de toute la brigade, composée en tout de 4.200 hommes environ.

Aussitôt formé, le 3e régiment remonte la rue de Montésinos jusqu’à l’usine électrique, puis tourne à gauche et, divisé en colonnes parallèles, descend vers le sud. La fraction la plus éloignée suit la ligne de chemin de fer. Ces différents groupes ne rencontrent qu’une faible résistance… Le 1er régiment, divisé aussi en colonnes parallèles à la mer, suit les rues Morelos, Zaragoza et de l’Indépendance, où des coups de feu partent de tous les côtés. Les canons du Prairie, du San Francisco et du Chester soutiennent énergiquement les Américains, qui avancent seulement pied à pied. Un obus envoyé sur le palais municipal atteint l’horloge et arrête l’aiguille a 7 heures 12 minutes.

À l’annexe de l’hôtel Diligencias, où une certaine résistance se manifeste, les Américains fusillent les fenêtres et tuent dix personnes. Il leur faut déloger des tireurs du clocher de la cathédrale. Mais l’effort le plus grand est supporté par les 1.400 hommes du 2e régiment qu’arrêtent les 70 élèves retranchés à l’École navale.


L’HÉROÏQUE DÉFENSE DE L’ÉCOLE NAVALE


Débarqués devant la douane, les marins du 2e régiment se sont avancés en rangs serrés, capitaine en tête, vers l’École navale qu’on croyait abandonnée. Tout à coup, à moins de cent mètres, de toutes les persiennes partent des coups de fusil, tandis qu’une fenêtre s’ouvre et dégage une mitrailleuse crachant les balles. La colonne des Américains oscille et fléchit. Les marins des deux premiers rangs tombent à terre, les autres se débandent et courent chercher un abri. Le capitaine reste le plus exposé. Cependant, il reforme sa colonne, la déploie en tirailleurs et la lance en avant. Mais, encore un fois, la mitraille disloque la troupe des assaillants et l’oblige à une nouvelle retraite. Quelques instants plus tard, le 1er régiment approche à son tour de l’École navale et veut la tourner, mais lui aussi est salué par une vive fusillade qui l’arrête net. Toute la matinée, l’attaque américaine se brise en cet endroit.

Il faut en finir. Le commandant du Chester reçoit l’ordre de bombarder l’édifice avec ses canons de 120. Les obus tires à moins de 800 mètres ouvrent de larges brèches dans les murs de l’École. Les plafonds tombent, les cloisons s’écroulent : tout resistance est désormais impossible. Le contre-amiral Assueta, chef de la flotte mexicaine, officier de la Légion d’honneur, qui avait organisé la défense des jeunes élèves, leur ordonne maintenant la retraite ; cependant, pour la rendre possible, deux d’entre eux restent à leur poste et continuent de servir la mitrailleuse. Quand ils tombent, criblés de blessures, leurs camarades sont sauvés. Ces deux héros de seize ans se nomment Uribe et José Assueta. Le premier, atteint de plusieurs balles et d’un éclat d’obus peut se traîner, tout sanglant, jusqu’à son lit ou il expire deux heures plus tard ; le second, propre fils du contre-amiral Assueta, touché trois fois par les projectiles, a pu survivre encore quinze jours. Ces deux jeunes gens et leurs 70 compagnons, ont sauvé, à Vera-Cruz, l’honneur mexicain.

Mais la lutte n’est pas encore finie. Comme la veille, des volontaires, peu nombreux, puisqu’ils sont à peine 150 ou 200, mais très mobiles et adroitement dissimulés, sont embusqués un peu partout et, continuellement, tiraillent. Parmi eux, il y a des soldats, des agents de police et surtout des civils, auxquels se sont joints des forçats libérés à l’instant même de Saint-Jean d’Ulloa. (Il s’agit sans doute des prisonniers-gardiens, car les individus dangereux sont toujours enfermés et leur présence embarrasse beaucoup les Américains.)

Le bombardement par les navires de guerre continue. Un projectile du Chester atteint la maison du consul de France, traverse les murs et manque de tuer Mme Brouzet. Plusieurs balles atteignent le croiseur anglais Essex : le commissaire de ce bateau est blessé au pied. Le monument de Juarès qui servait d’abri à trois tireurs mexicains est en partie démoli. Pour chasser les défenseurs, les Américains enfoncent les portes des maisons et les vident de leurs habitants. Enfin, vers 5 heures de l’après-midi, le trois régiments se rencontrent à l’Alameda, devant le palais du gouvernement militaire. La résistance paraît partout brisée.


LA RÉSISTANCE ÉCRASÉE


Les Américains se retranchent, fourbus. Ils seraient incapables de fournir un pareil effort le lendemain. Heureusement pour eux, ils n’ont plus à occuper de la ville que des rues droites et larges, tracées entre des maisons basses, sans étage, au toit incliné, qui ne pourraient offrir aux défenseurs aucun abri sérieux. La prise de possession de ces quartiers s’effectue facilement ; mais, pendant dix jours, toutes les nuits, des coups de feu sont tirés sur les sentinelles et en tuent plusieurs. À l’hôpital militaire, par exemple, cinq soldats mexicains malades s’évadent de leurs lits vers 11 heures du soir, vont dans le jardin déterrer des fusils, grimpent sur le toit et déchargent leurs armes sur les soldats « gringos ». Après quoi ils replacent les fusils dans la cachette et retournent se coucher. Ils recommenceront le lendemain et le surlendemain, jusqu’au moment où des sentinelles américains seront placées, la nuit, sur les toits. Pour les deux premiers soirs de l’occupation de Vera-Cruz, les Américains ont annoncé 17 tués et 47 blessés, dont 3 mortellement. Du côté mexicain, il y a eu 100 à 150 tués et 150 à 250 blessés, presque tous par accident.

Au point de vue militaire, l’occupation qui devait se réaliser sans coup férir, avec 700 hommes, a exigé, malgré la retraite de la garnison, plus de 4.000 hommes. Et la bataille a duré trois jours.

Par la suite, l’amiral Fletcher, commandant en chef les troupes débarquées à Vera-Cruz, rétablit l’ordre assez rapidement. Le 22 et le 23 avril il obligea les habitants à laisser les portes et les fenêtres ouvertes et éclairées durant toute la nuit. Le 26 avril, il proclama la loi martiale, l’appliquant au territoire occupé, mais déclarant, en outre, qu’elle serait étendue à toutes les régions où s’établiraient ultérieurement les forces américaines. Il fit aussi opérer des perquisitions qui lui donnèrent un millier de mausers.


Les élèves de l’École navale de Vera-Cruz. — Phot. du doct. Bosredon.

Les Américains, il faut le reconnaître, ont agi avec le minimum de brutalité. Ils s’occupent à réparer les édifices endommagés, et, s’ils réservent toutes les demandes d’indemnités mexicaines jusqu’au règlement de comptes final, ils s’occupent déjà des réclamations étrangères. Ils cherchent visiblement à se rendre agréables et sympathiques à la population. Par leurs soins, des vivres ont déjà été distribués aux nécessiteux ; tous les jours, ils organisent plusieurs concerts. Le drapeau américain a été hissé au-dessus du quartier général, à la gare, seulement le 28 avril, et pas avant le 30 à Saint-Jean d’Ulloa. On sent que, sûrs de leur force, ils évitent toute vexation inutile. Les Mexicains se taisent,