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malversations et aujourd’hui à la solde du service des renseignements.

M. le commissaire du gouvernement, s’oppose à ce que la question posée, le général Roget n’ayant pas eu connaissance de ce fait.

Le colonel président dit que la question ne sera posée que plus tard, lorsque viendront les témoins qui ont connu de l’incident de Lajone.

Ce petit échange d’observations entre l’accusation, la défense et le président cause une certaine émotion dans la salle.

Il est bien apparent que Me Demange désire poser des questions multiples au général Roget pour amener une confusion dans ses déclarations. Ce serait un excellent appoint pour la défense. Mais d’autre part, il serait juste de ne pas poser aux témoins des questions se rattachant à des faits auxquels ils ont été absolument étrangers.

Me Demange. — Comment le général Roget a-t il su qu’on avait offert 800,00 francs à Esterhasy ?

Le général. — C’est lui-même qui l’a déclaré au conseil d’enquête devant lequel il avait été appelé.

Me Demange. — Le général nous a dit que le bordereau était déchiré en menus morceaux…

Le général (vivement). — Ah, pardon, je ne suis pas un orateur : une expression peut dépasser ma pensée ; le bordereau était peu déchiré et roulé en boule.

Me Demande demande au général ce qu’il entend par les « récriminations vagues » de Dreyfus pendant son séjour à la Guyane.

Le général. — Si j’étais accusé d’une trahison que je n’aurais pas commise, je trouverais des arguments décisifs pour faire ressortir mon innocence.

Dreyfus. — Dans tout ce que le Conseil a entendu hier, il n’y a pas un mot de vérité.

— Ô —
M. Bertulus

juge d’instruction à Paris, à la voix grave si grave même qu’elle ne dépasse pas la ligne de ses courtes moustaches. Sténographes et journalistes trépignent car pas un mot ne parvient jusqu’à eux.

Le geste est beau ; il vaudrait mieux que le témoin en fit moins et elevât le ton davantage. Nous allons assister à une simple pantomine jouée par M. le juge d’instruction.

M. le commissaire du Gourvernement. — Nous n’entendons pas un mot.

M. Bertulus. — C’est que j’ai l’habitude de parler ainsi dans mon cabinet.

Me Demange. — Le témoin pourrait recommencer, car de tout ce qu’il vient de dire, il ne nous est pas arrivé un traître mot.

Et M. Bertulus recommence son ronron. Pourvu que la représentation de Guignol ne dure pas trop longtemps !

Ce serait à croise que le témoi rapporte des choses qu’il ne faut pas faire connaître à tout le monde. La voix de M. Bertulus nous rappelle un tuyau d’orgues qui corne ; encore le son en est-il bien faible.

Voici un mot qui nous parvient : « On a prétendu que je ne dis pas la vérité ! »

Ce n’est certainement pas nous qui émettrons une pareille opinion, car nous serions embarrassés s’il fallait dire ce que raconte le témoin.

Si le public n’est pas toujours d’une sagesse exemplaire, il faut reconnaître qu’aujourd’hui il montre une patience admirable. Voilà deux heures qu’un témoin parle sans que l’on entende la moindre syllabe.

Il est vrai que dans l’assistance quelques yeux se ferment tandis que les bouchent s’ouvrent demesurément dans des bâillements significatifs.

On transporte au service médical un de nos plus sympathiques avocats rennais Me Ilari, pris dans la salle d’une indisposition subite.

La séance est suspendue à dix heures.

À dix heures un quart la séance est reprise.

M. Bertulus revient au fauteuil des témoins.

Me Demange demande au témoin s’il peut indiquer les scellés qui contiennent la pièce Bâle et Cie.

Le témoin répond que les notes ont été données à la Cour de Cassation.

D’après M. Bertulus, un nommé Souffrain, qui avait été soupçonné d’être l’auteur de certains télégrammes, est complètement étranger à toute l’affaire.

Me Demange. — Y a-t-il dans les dossiers un élément nouveau qui pourrait jeter un jour nouveau sur la situation d’Esterhazy ?

M. Bertulus continue à ronronner.

Mme Henry demande la parole :

Le 18 juillet, mon mari m’a dit que M. Bertulus l’avait reçu à bras ouvert et l’avait comblé de félicitations.

Je fus surprise de cet accueil, et je dis à mon mari : Je crains bien que les baisers de cet homme soient ceux d’un Judas, et en effet cet homme ici présent a été pour mon mari un Judas.

M. Bertulus — Je ne puis répondre à cette femme…