Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/169

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et fait que l’homme illustre parle comme un sot.

64 (V)

Hérille, soit qu’il parle, qu’il harangue ou qu’il écrive, veut citer : il fait dire au Prince des philosophes que le vin enivre, et à l’Orateur romain que l’eau le tempère. S’il se jette dans la morale, ce n’est pas lui, c’est le divin Platon qui assure que la vertu est aimable, le vice odieux ; ou que l’un et l’autre se tournent en habitude. Les choses les plus communes, les plus triviales, et qu’il est même capable de penser, il veut les devoir aux anciens, aux Latins, aux Grecs ; ce n’est ni pour donner plus d’autorité à ce qu’il dit, ni peut-être pour se faire honneur de ce qu’il sait : il veut citer.

65 (V)

C’est souvent hasarder un bon mot et vouloir le perdre que de le donner pour sien : il n’est pas relevé, il tombe avec des gens d’esprit ou qui se croient tels, qui ne l’ont pas dit, et qui devaient le dire. C’est au contraire le faire valoir que de le rapporter comme d’un autre : ce n’est qu’un fait, et qu’on ne se croit pas obligé de savoir ; il est dit avec plus d’insinuation et reçu avec moins de jalousie ; personne n’en souffre : on rit s’il faut rire, et s’il faut admirer, on admire.

66 (IV)

On a dit de Socrate qu’il était en délire, et que c’était un fou tout plein d’esprit ; mais ceux des Grecs qui parlaient ainsi d’un homme si sage passaient pour fous. Ils disaient : « Quels bizarres portraits