Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/63

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les amuser de nouveaux chapitres et un nouveau titre ; que cette indolence avoit rempli les boutiques et peuplé le monde, depuis tout ce temps, de livres froids et ennuyeux, d’un mauvais style et de nulle ressource, sans règles et sans la moindre justesse, contraires aux mœurs et aux bienséances, écrits avec précipitation et lus de même, seulement par leur nouveauté ; et que, si je ne sçavois qu’augmenter un livre raisonnable, le mieux que je pouvois faire était de me reposer. Je pris alors quelque chose de ces deux avis si opposez et je garday un tempérament qui les rapprochoit. Je ne feignis point d’ajouter quelques nouvelles remarques à celles qui avoient déjà grossi du double la première édition de mon ouvrage ; mais, afin que le public ne fût point obligé de parcourir ce qui étoit ancien pour passer à ce qu’il y avoit de nouveau, et qu’il trouvât sous ses yeux ce qu’il avoit seulement envie de lire, je pris soin de luy désigner cette seconde augmentation par une marque ((❡)) particulière ; je crus aussi qu’il ne seroit pas inutile de lui distinguer la première augmentation par une autre marque (❡) plus simple, qui servît à luy montrer le progrés de mes Caractères et à aider son choix dans la lecture qu’il en voudroit faire ; et, comme il pouvoit craindre que ce progrés n’allât à l’infini, j’ajoûtois à toutes ces exactitudes une promesse sincère de ne plus rien hazarder en ce genre. Que si quelqu’un m’accuse d’avoir manqué à ma parole en insérant dans les trois éditions qui ont suivi un assez grand nombre de nouvelles remarques, il verra du moins qu’en les confondant avec les anciennes par la suppression entière de ces differences qui se voyent par apostille, j’ay moins pensé à luy faire lire rien de nouveau qu’à laisser peut-être un ouvrage de mœurs plus complet, plus fini et plus régulier à la postérité. Ce ne sont point au reste des maximes que j’ay voulu écrire, elles sont comme des loix dans la morale, et j’avoue que je n’ay ny assez d’autorité ny assez de génie pour faire le législateur ; je sçay même que j’aurois péché contre l’usage des maximes, qui veut qu’à la manière des oracles elles soient courtes et concises ; quelques-unes de ces remarques le sont, quelques autres sont plus étenduës : on pense les choses d’une manière différente, et on les explique par un tour aussi tout différent, par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture : de là procède la longueur ou la brièveté de mes reflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crûs ; je consens, au contraire, que l’on dise de moy que je n’ay pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l’on remarque mieux.