Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/195

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1. — L’on ſe donne à Paris, ſans ſe parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les ſoyrs au Cours ou aux Tuileries, pour ſe regarder au viſage & ſe déſapprouver les uns les autres. L’on ne peut ſe paſſer de ce meſme monde que l’on n’aime point, & dont l’on ſe moque. L’on s’attend au paſſage réciproquement dans une promenade publique ; l’on y paſſe en revue l’un devant l’autre : carroſſe, chevaux, livrées, armoiries, rien n’échappe aux yeux, tout eſt curieuſement ou malignement obſervé ; & ſelon le plus ou le moins de l’équipage, ou l’on reſpecte les perſonnes, ou on les dédaigne.

2. — Tout le monde connaît cette longue levée qui borne & qui reſſerre le lit de la Seine, du coſté pied où elle entre à Paris avec la Marne qu’elle vient de recevoir : les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule ; on les voit de fort près ſe jeter dans l’eau ; on les en voit ſortir : c’eſt un amuſement. Quand cette ſaiſon n’eſt pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore ; & quand elle eſt paſſée, elles ne s’y promènent plus.

3. — Dans ces lieux d’un concours général, où les femmes ſe raſſemblent pour montrer une belle étoffe, & pour recueillir le fruit de leur toilette, on ne ſe promène pas avec une compagne par la néceſſité de la converſation ; on ſe joint enſemble pour ſe raſſurer ſur le théatre, s’apprivoiſer avec le public, & ſe raffermir contre la critique : c’eſt là préciſément qu’on ſe parle ſans ſe rien dire, ou plutoſt qu’on parle