Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/82

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je ne crois pas, auſſi bien qu’eux, exempt de toute ſorte de blame : il paraît que tous deux ne l’ont eſtimé en nulle manière. L’un ne penſçait pas aſſez pour goûter un auteur qui penſe beaucoup ; l’autre penſe trop ſubtilement pour s’accommoder de penſées qui ſont naturelles.

45. — Un ſtyle grave, ſérieux, ſcrupuleux, va fort loin : on lit AMYOT & CŒFFETEAU ; lequel lit-on de leurs contemporains ? BALZAC, pour les termes & pour l’expreſſion, eſt moins vieux que VOITURE, mais ſi ce dernier, pour le tour, pour l’eſprit & pour le naturel, n’eſt pas moderne, & ne reſſemble en rien à nos écrivains, c’eſt qu’il leur a été plus facile de le négliger que de l’imiter, & que le petit nombre de ceux qui courent après luy ne peut l’atteindre.

46. — Le H** G** eſt immédiatement au-deſſous de rien. Il y a bien d’autres ouvrages qui luy reſſemblent. Il y a autant d’invention à s’enrichir par un ſot livre qu’il y a de ſottiſe à l’acheter : c’eſt ignorer le goût du peuple que de ne pas haſarder quelquefois de grandes fadaiſes.

47. — L’on voit bien que l’Opéra eſt l’ébauche d’un grand ſpectacle ; il en donne l’idée. Je ne ſais pas comment l’Opéra, avec une muſique ſi parfaite & une dépenſe toute royale, a pu réuſſir à m’ennuyer. Il y a des endroits de l’Opéra qui laiſſent en déſirer d’autres, il échappe quelquefois de ſouhaiter la fin de tout le ſpectacle : c’eſt faute de théatre, d’action, & de choſes qui intéreſſent. L’Opéra juſques à ce jour n’eſt pas un poème, ce ſont des vers ; ni un ſpectacle, depuis que les machines ont diſparu par le bon ménage d’Amphion et de ſa race :