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L’ANGELUS DU CŒUR



Quelle correspondance étrange existe-t-il
Entre la mort du jour et l’aube de mes rêves
Pour que tous mes plus chers souvenirs de bonheur
Soient mêlés à celui de ce moment charmeur
Où les molles clartés se succèdent trop brèves
Sur l’Occident, tantôt puissant, tantôt subtil ?

Sans doute les espoirs que mon âme recèle,
Comme sous un climat clément de tendres fleurs,
À la fraîcheur du soir ouvrent mieux leurs pétales,
Quand la Vie assourdit les richesses brutales
De ses formes, de ses bruits et de ses couleurs
Sous la diffusion de l’ombre universelle…

Ô crépuscule, ô rêve extérieur du ciel,
Oasis embaumée où le Temps dans sa fuite
Éternelle s’arrête et s’oublie un moment,
Ô rêve, ô crépuscule aussi du sentiment,
Halte du cœur où le mystère nous invite, ̃
Oubli de l’action, baume du mal réel,

Salut, frères gémeaux dans l’espace et la vie !
N’êtes-vous pas l’étoile et les vents alizés
Pour l’âme qui voyage aux océans du songe ?
Elle bénit en vous le bienfaisant mensonge
Du clair-obscur par qui vous idéalisez
Un monde qui la tient de trop près asservie.

Ô Crépuscule, ô Rêve, adelphes qui mêlez
Dans le soir délicat vos formes enlacées,
Combien d’illusions parfaites je vous dois !
Faites pleuvoir toujours avec vos divins doigts
Une neige de fleurs pâles et de pensées
Par les firmaments clairs et sur nos cœurs troublés

Pour qu’en dépit du mal, en dépit des orages,
Des aveuglants soleils et des pesantes nuits,
Nous retrouvions encor pour nos rêves, qu’exile
Trop de lumière ou trop d’obscurité, l’Asile
Où ne pénètrent pas les terrestres ennuis,
L’Eden spirituel aux imprévus mirages !

Eden d’apothéose où flottent des parfums
De verveine et d’Iris mêlés d’héliotrope,
Eden suave où les plus sceptiques esprits
Rapprennent le Credo des espoirs désappris,
Où les derniers songeurs de notre vieille Europe
Viennent se consoler de leurs dogmes défunts,