Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/163

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laissé voir ses soupçons. S’il eût eu des certitudes, il en aurait usé de la même sorte. J’ai eu tort de croire qu’il y eût un homme capable de cacher ce qui flatte sa gloire. C’est pourtant pour cet homme que j’ai cru si différent du reste des hommes, que je me trouve comme les autres femmes, étant si éloignée de leur ressembler. J’ai perdu le cœur et l’estime d’un mari qui devait faire ma félicité : je serai bientôt regardée de tout le monde comme une personne qui a une folle et violente passion : celui pour qui je l’ai ne l’ignore plus ; et c’est pour éviter ces malheurs que j’ai hasardé tout mon repos et même ma vie. Ces tristes réflexions étaient suivies d’un torrent de larmes : mais, quelque douleur dont elle se trouvât accablée, elle sentait bien qu’elle aurait eu la force de les supporter, si elle avait été satisfaite de M. de Nemours.

Ce prince n’était pas dans un état plus tranquille. L’imprudence qu’il avait faite d’avoir parlé au vidame de Chartres, et les cruelles suites de cette imprudence, lui donnaient un déplaisir mortel. Il ne pouvait se représenter, sans être accablé, l’embarras, le trouble et l’affliction où il avait vu madame de Clèves. Il était inconsolable de lui avoir dit des choses sur cette aventure qui, bien que galantes par elles-mêmes, lui paraissaient, dans ce moment grossières et peu polies, puisqu’elles avaient fait entendre à madame de Clèves qu’il n’ignorait pas qu’elle était cette femme qui avait une passion violente, et qu’il était celui pour qui elle l’avait. Tout ce qu’il eût pu souhaiter, eût été une conversation avec elle ; mais il trouvait qu’il la devait craindre plutôt que de la desirer. Qu’aurais-je à lui