Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/188

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son idée, il était néanmoins très-affligé de lui avoir vu un mouvement si naturel de le fuir.

La passion n’a jamais été si tendre et si violente qu’elle l’était alors en ce prince. Il s’en alla sous des saules, le long d’un petit ruisseau qui coulait derrière la maison où il était caché. Il s’éloigna le plus qu’il lui fut possible, pour n’être vu ni entendu de personne ; il s’abandonna aux transports de son amour, et son cœur en fut tellement pressé qu’il fut contraint de laisser couler quelques larmes : mais ces larmes n’étaient pas de celles que la douleur seule fait répandre ; elles étaient mêlées de douceur et de ce charme qui ne se trouve que dans l’amour.

Il se mit à repasser toutes les actions de madame de Clèves depuis qu’il en était amoureux : quelle rigueur honnête et modeste elle avait toujours eue pour lui, quoiqu’elle l’aimât ! Car enfin, elle m’aime, disait-il, elle m’aime, je n’en saurais douter ; les plus grands engagements et les plus grandes faveurs ne sont pas des marques si assurées que celles que j’en ai eues : cependant je suis traité avec la même rigueur que si j’étais haï. J’ai espéré au temps ; je n’en dois plus rien attendre : je la vois toujours se défendre également contre moi et contre elle-même. Si je n’étais point aimé, je songerais à plaire ; mais je plais, on m’aime, et on me le cache. Que puis-je donc espérer, et quel changement dois-je attendre dans ma destinée ? Quoi ! je serai aimé de la plus aimable personne du monde, et je n’aurai cet excès d’amour que donnent les premières certitudes d’être aimé, que pour mieux sentir la douleur d’être maltraité ! Laissez-moi voir que vous