Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/75

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venait lui ouvrir son cœur, et qu’il voyait l’homme du monde le plus affligé de la mort de madame de Tournon.

Ce nom, me dit Sancerre, m’a tellement surpris, que, quoique mon premier mouvement ait été de lui dire que j’en étais plus affligé que lui, je n’ai pas eu néanmoins la force de parler. Il a continué, et m’a dit qu’il était amoureux d’elle depuis six mois ; qu’il avait toujours voulu me le dire, mais qu’elle le lui avait défendu expressément, et avec tant d’autorité, qu’il n’avait osé lui désobéir ; qu’il lui avait plu quasi dans le même temps qu’il l’avait aimée ; qu’ils avaient caché leur passion à tout le monde ; qu’il n’avait jamais été chez elle publiquement ; qu’il avait eu le plaisir de la consoler de la mort de son mari, et qu’enfin il l’allait épouser dans le temps qu’elle était morte ; mais que ce mariage, qui était un effet de passion, aurait paru un effet de devoir et d’obéissance ; qu’elle avait gagné son père pour se faire commander de l’épouser, afin qu’il n’y eût pas un trop grand changement dans sa conduite, qui avait été si éloignée de se marier.

Tant qu’Estouteville m’a parlé, me dit Sancerre, j’ai ajouté foi à ses paroles, parce que j’y ai trouvé de la vraisemblance, et que le temps où il m’a dit qu’il avait commencé à aimer madame de Tournon est précisément celui où elle m’a paru changée ; mais un moment après je l’ai cru un menteur, ou du moins un visionnaire : j’ai été prêt à le lui dire, j’ai passé ensuite à vouloir m’éclaircir ; je l’ai questionné, je lui ai fait paraître des doutes ; enfin j’ai tant fait pour m’assurer de mon malheur, qu’il m’a demandé si je connaissais l’écriture de madame de Tournon : il a mis