Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/310

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Divers prétextes, dont je m’étais servie depuis la malheureuse aventure de Barbasan, m’avaient laissé la liberté de rester dans mon couvent. Ma mère n’y était point venue : j’envoyais régulièrement savoir de ses nouvelles ; on répondait qu’elle se portait bien, et que sa grossesse ne lui permettait pas de sortir. Comme elle ne me faisait point dire d’aller chez elle, je jugeai que mon beau-père ne voulait pas qu’elle me vît. On vint un matin m’avertir qu’elle était près d’accoucher ; on ajouta qu’elle me demandait ; je sortis au plus vite ; je trouvai en arrivant les domestiques en larmes. Sans oser les questionner, je m’acheminais vers son appartement, quand une femme de chambre vint à moi en poussant de grands cris. Ah ! mademoiselle, me dit-elle, où allez-vous ? vous n’avez plus de mère.

Je ne puis exprimer ce que je sentis dans ce moment, la révolution qui se fit en moi ; tous les torts que j’avais trouvés à ma mère, tout ce que mon père m’avait laissé penser, tout ce que sa conduite à mon égard avait eu de reprochable, tout cela disparut, et ne me laissa que le souvenir des tendresses qu’elle m’avait marquées dans mon enfance : je fus véritablement touchée. Mon tuteur, qui était dans la maison, m’emporta malgré moi dans le carrosse qui m’avait amenée, et me remit entre les mains d’Eugénie. Ce nouveau malheur renouvela toutes mes douleurs ; c’est un aliment pour un cœur qui en est déjà rempli ; il semble qu’on trouve une espèce de soulagement à voir croître ses peines.

Mon beau-père, dans l’intention de s’assurer des