Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/72

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choix de ce mari, le plus jaloux, le plus bizarre de tous les hommes, s’étaient faits pour moi, et je venais de mettre le comble à tant d’infortunes, en exposant sa réputation. Je me rappelais ensuite la jalousie que je lui avais marquée : quoiqu’elle n’eût duré qu’un moment, quoiqu’un seul mot l’eût fait cesser, je ne pouvais me la pardonner. Adélaïde me devait regarder comme indigne de ses bontés ; elle devait me haïr. Cette idée, si douloureuse, si accablante, je la soutenais par la rage dont j’étais animé contre moi-même.

Saint-Laurent revint au bout de huit jours ; il me dit que Benavidés était très-mal de sa blessure, que sa femme paraissait inconsolable, que dom Gabriel faisait mine de nous faire chercher avec soin. Ces nouvelles n’étaient pas propres à me calmer : je ne savais ce que je devais désirer ; tous les événements étaient contre moi ; je ne pouvais même souhaiter la mort : il me semblait que je me devais à la justification de madame de Benavidés.

Le religieux qui me servait prit pitié de moi ; il m’entendait soupirer continuellement ; il me trouvait presque toujours le visage baigné de larmes. C’était un homme d’esprit, qui avait été long-temps dans le monde, et que divers accidents avaient conduit dans le cloître. Il ne chercha point à me consoler par ses discours ; il me montra seulement de la sensibilité pour mes peines : ce moyen lui réussit ; il gagna peu-à-peu ma confiance ; peut-être aussi ne la dut-il qu’au besoin que j’avais de parler et de me plaindre. Je m’attachais à lui à mesure que je lui contais mes malheurs ; il me devint si nécessaire au bout de quelques jours, que je ne pou-