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LIVRE CINQUIÉME.

Et connoist les divers talens :
Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens.




XX.
L’OURS ET LES DEUX COMPAGNONS.



Deux Compagnons pressez d’argent,
A leur voisin Fourreur vendirent
La peau d’un Ours encor vivant ;
Mais qu’ils tuëroient bien-tost, du moins à ce qu’ils dirent.
C’estoit le Roy des Ours au compte de ces gens.
Le Marchand à sa peau devoit faire fortune.
Elle garentiroit des froids les plus cuisans.
On en pourroit fourrer plustost deux robes qu’une.
Dindenaut prisoit moins ses Moutons qu’eux leur Ours.
Leur, à leur compte, et non à celuy de la Beste.
S’offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en queste ;
Trouvent l’Ours qui s’avance, et vient vers eux au trot.
Voila mes gens frappez comme d’un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il falut le resoudre.
D’interests contre l’Ours, on n’en dit pas un mot.
L’un des deux Compagnons grimpe au faiste d’un arbre.
L’autre plus froid que n’est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent ;
Ayant quelque-part oüy dire
Que l’Ours s’acharne peu souvent
Sur un corps qui ne vit, ne meut, ny ne respire.
Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau.
Il void ce corps gisant, le croit privé de vie,
Et de peur de supercherie
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l’haleine.