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LIVRE SIXIÉME.

Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à toute autre chose
Qu’à la gageure. A la fin quand il vid
Que l’autre touchoit presque au bout de la carriere,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
Furent vains ; la Tortuë arriva la premiere.
Hé bien, luy cria-t-elle, avois-je pas raison ?
Dequoy vous sert vostre vistesse ?
Moy l’emporter ! et que seroit-ce
Si vous portiez une maison ?




XI.
L’ASNE ET SES MAISTRES.



L’Asne d’un Jardinier se plaignoit au destin
De ce qu’on le faisoit lever devant l’Aurore.
Les Coqs, luy disoit-il, ont beau chanter matin ;
Je suis plus matineux encore.
Et pourquoy ? pour porter des herbes au marché.
Belle necessité d’interrompre mon somme !
Le Sort de sa plainte touché
Luy donne un autre Maistre ; et l’Animal de somme
Passe du Jardinier aux mains d’un Corroyeur.
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur
Eurent bien-tost choqué l’impertinente Beste.
J’ay regret, disoit-il, à mon premier Seigneur.
Encor quand il tournoit la teste
J’attrapois, s’il m’en souvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien.
Mais icy, point d’aubeine ; ou si j’en ay quelqu’une
C’est de coups. Ill obtint changement de fortune,
Et sur l’estat d’un Charbonnier