Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
LIVRE SEPTIÉME.

Un mary vivant trop au gré de son épouse,
Une mere fâcheuse, une femme jalouse ;
Chez la Devineuse on couroit,
Pour se faire annoncer ce que l’on desiroit.
Son fait consistoit en adresse.
Quelques termes de l’art, beaucoup de hardiesse,
Du hazard quelquefois, tout cela_ concouroit :
Tout cela bien souvent faisoit crier miracle.
Enfin quoy qu’ignorante à vingt et trois carats,
Elle passoit pour un oracle.
L’oracle estoit logé dedans un galetas.
Là cette femme emplit sa bourse.
Et sans avoir d’autre ressource,
Gagne dequoy donner un rang à son mari :
Elle achete un office, une maison aussi.
Voila le galetas remply
D’une nouvelle hostesse, à qui toute la ville,
Femmes, filles, valets, gros Messieurs, tout enfin
Alloit comme autrefois demander son destin :
Le galetas devint l’antre de la Sibille.
L’autre femelle avoit achalandé ce lieu.
Cette derniere femme eut beau faire, eut beau dire,
Moy Devine ! on se moque ; Eh Messieurs, sçay-je lire ?
Je n’ay jamais appris que ma croix de pardieu.
Point de raison ; falut deviner et prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner mal-gré soy plus que deux Avocats.
Le meuble, et l’équipage aidoient fort à la chose :
Quatre sieges boiteux, un manche de balay.
Tout sentoit son sabat, et sa metamorphose :
Quand cette femme auroit dit vray
Dans une chambre tapissée,
On s’en seroit moqué ; la vogue estoit passée
Au galetas ; il avoit le credit :
L’autre femme se morfondit.
L’enseigne fait la chalandise.
J’ay veu dans le Palais une robe mal-mise
Gagner gros ; les gens l’avoient prise

La Fontaine. — I.
14