Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
FABLES CHOISIES.

Parmy tant d’Huitres toutes closes,
Une s’estoit ouverte, et, bâillant au Soleil,
Par un doux Zephir réjoüie,
Humoit l’air, respiroit, estoit épanoüie.
Blanche, grasse, et d’un goust à la voir nompareil.
D’aussi loin que le Rat voit cette Huitre qui bâille,
Qu’apperçois-je ? dit-il, c’est quelque victuaille ;
Et si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’huy bonne chere, ou jamais.
Là-dessus maistre Rat plein de belle esperance.
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs ; car l’Huitre tout d’un coup
Se referme, et voilà ce que fait l’ignorance.

Cette Fable contient plus d’un enseignement.
Nous y voyons premierement,
Que ceux qui n’ont du monde aucune experience
Sont aux moindres objets frappez d’étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyoit prendre.




X.
L’OURS ET L’AMATEUR DES JARDINS.



Certain Ours montagnard. Ours à demi leché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellerophon vivoit seul et caché :
Il fust devenu fou ; la raison d’ordinaire
N’habite pas longtemps[1] chez les gens sequestrez ;
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrez.
Nul animal n’avoit affaire

  1. Toûjours, dans le texte ; longtemps, dans l’Errata.