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LIVRE ONZIÉME.

Rome est par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L’instrument de nostre supplice.
Craignez Romains, craignez que le Ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misere,
Et mettant en nos mains par un juste retour
Les armes dont se sert sa vengeance severe,
Il ne vous fasse en sa colere
Nos esclaves à vostre tour.
Et pourquoy sommes-nous les vostres ? Qu’on me die
En quoy vous valez mieux que cent peuples divers ?
Quel droit vous a rendus maistres de l’Univers ?
Pourquoy venir troubler une innocente vie ?
Nous cultivions en paix d’heureux champs, et nos mains
Estoient propres aux Arts, ainsi qu’au labourage :
Qu’avez-vous appris aux Germains ?
Ils ont l’adresse et le courage :
S’ils avoient eu l’avidité,
Comme vous, et la violence,
Peut estre en vostre place ils auroient la puissance,
Et sçauroient en user sans inhumanité.
Celle que vos Prêteurs ont sur nous exercée
N’entre qu’à peine en la pensée.
La majesté de vos Autels
Elle mesme en est offensée :
Car sçachez que les immortels
Ont les regards sur nous. Graces à vos exemples,
Ils n’ont devant les yeux que des objets d’horreur,
De mépris d’eux, et de leurs Temples,
D’avarice qui va jusques à la fureur.
Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome ;
La terre, et le travail de l’homme
Font pour les assouvir des efforts superflus.
Retirez les ; on ne veut plus
Cultiver pour eux les campagnes ;
Nous quittons les Citez, nous fuyons aux montagnes,
Nous laissons nos cheres compagnes[1].

  1. Campagnes, dans le texte, mais l’Errata indique qu’il faut lire compagnes.