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FABLES CHOISIES.

Je fabrique à force de temps
Des Vers moins sensez que sa Prose.

Les traits dans sa Fable semez
Ne sont en l’Ouvrage du Poëte
Ni tous, ni si bien exprimez.
Sa loüange en est plus complete.

De la chanter sur la Muzette,
C’est mon talent ; mais je m’attens
Que mon Heros dans peu de tems
Me fera prendre la trompette.

Je ne suis pas un grand Prophete,
Cependant je lis dans les Cieux
Que bientôt ses faits glorieux
Demanderont plusieurs Homeres ;
Et ce tems-ci n’en produit gueres.
Laissant à part tous ces mysteres,
Essaïons de conter la Fable avec succez.

Le Renard dit au Loup : Nôtre cher, pour tous mets,
J’ai souvent un vieux Coq, ou de maigres Poulets ;
C’est une viande qui me lasse.
Tu fais meilleure chere avec moins de hazard ;
J’approche des maisons, tu te tiens à l’écart.
Apprens-moi ton métier, Camarade, de grace :
Rens-moi le premier de ma race
Qui fournisse son croc de quelque Mouton gras,
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.
Je le veux, dit le Loup ; Il m’est mort un mien frere ;
Allons prendre sa peau, tu t’en revêtiras.
Il vint, et le Loup dit : Voici comme il faut faire
Si tu veux écarter les Mâtins du Troupeau.
Le Renard aïant mis la peau
Repetoit les leçons que lui donnoit son maître.
D’abord il s’y prit mal, puis un peu mieux, puis bien,
Puis enfin il n’y manqua rien.