Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 4.djvu/126

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Aussi peu vous diray-je, Acante, écoûtez bien,
Que par vos qualitez vous ne meritez rien ;
Je les sçais, je les vois, j’y trouve de quoy plaire :
Que sert-il d’affecter le titre de severe ?
Je ne me vante pas d’estre sage à ce point,
Qu’un merite amoureux ne m’embarasse point.
Vouloir bannir l’amour, le condamner, s’en plaindre,
Ce n’est pas le haïr, Acante, c’est le craindre.
Des plus sauvages cœurs il flate le desir.
Vous ne l’osterez point sans m’oster du plaisir :
Nous y perdrons tous deux : quand je vous le conseille,
Je me fais violence, et preste encor l’oreille.
Ce mot renferme en soy je ne sçais quoy de doux,
Un son qui ne déplaist à pas une de nous ;
Mais trop de mal le suit.


Acante.

Mais trop de mal le suit. Je m’en charge, Madame :
Ce mal est pour moy seul ; j’en garentis vôtre ame.


Climene.

Qui vous croiroit, Acante, auroit un bon garent.
Mais non, je connois trop qu’Amour n’est qu’un tyran,
Un ennemy public, un démon, pour mieux dire.


Acante.

Il ne l’est pas pour vous, cela vous doit suffire :
Jamais il ne vous peut avoir causé d’ennuy :
Vous en prenez un autre assurément pour luy.
S’il a quelques douceurs, elles sont pour les Belles,
Et pour nous les soucis et les peines cruelles.
Vous n’éprouvez jamais ny dédain ny froideur :
Quant à nous, c’est souvent le prix de nostre ardeur.
Trop de zele nous nuit.


Climene.

Trop de zele nous nuit. Et pourquoy donc, Acante,
Ne moderez-vous pas cette ardeur violente ?
Aimez-vous mieux souffrir contre mon propre gré,