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ACTE II


Scène 1

Gnaton.


Que le pouvoir est grand du bel art de flatter !
Qu’on voit d’honnestes gens par cet art subsister !
Qu’il s’offre peu d’emplois que le sien ne surpasse !
Et qu’entre l’homme et l’homme il sçait mettre d’espace !
Un de mes compagnons, qu’autresfois on a veu
Des dons de la fortune abondamment pourveu,
Qui, tenant table ouverte, et toujours des plus braves,
Vouloit estre servi par un monde d’esclaves,
Devenu maintenant moins superbe et moins fier,
S’estimeroit heureux d’estre mon estafier.
N’aguere, en m’arrestant, il m’a traitté de maistre ;
Le long temps et l’habit me l’ont fait méconnoistre,
Autant qu’il estoit propre, aujourd’huy negligé,
Je l’ay trouvé d’abord tout triste et tout changé.
Est-ce vous ? (ay-je dit), aussi-tost et tout changé.
Les malheurs qui causoient son chagrin et sa honte ;
Qu’ayant esté d’humeur à ne se plaindre rien,
Ses dents avoient duré plus long-temps que son bien,
Et qu’un jeûne forcé le rendoit ainsi blesme.
Pauvre homme ! n’as-tu point de resource en toy-mesme