Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 4.djvu/83

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Qu’au faix de tant de biens chargé d’ans il succombe ;
Que pour courir à tout n’estant plus assez vert,
Il se veut desormais tenir clos et couvert,
Caresser, les pieds chauds, quelque bru qui luy plaise ;
Conter son jeune temps, banqueter à son aise.
C’est là (ce m’a-t-il dit) le seul but où je tends.
S’ils veulent voir mes jours plus longs et plus contens,
Il faut qu’un prompt hymen me delivre de crainte.
Non que je leur impose une aveugle contrainte ;
Pour plustost les reduire à suivre mon desir,
Je leur laisse à tous deux le pouvoir de choisir ;
(Citoyenne j’entens), du reste il ne m’importe.
Ennuyé des chagrins que l’âge nous apporte,
Je ne demande plus qu’un entretien flatteur
Qui dessus mes vieux jours me mette en belle humeur ;
Que l’un ou l’autre enfin choisisse une Maistresse.
L’amour de ces objets qu’on suit dans la jeunesse
Ne produit rien d’égal aux plaisirs infinis
Que cause un sacré nœud dont deux cœurs sont unis.
Tu sçais que les douceurs jamais ne s’en corrompent,
Au lieu que ces amours, dont les charmes nous trompent,
Jamais à bonne fin ne peuvent aboutir :
On verra mon aisné trop tard s’en repentir.
J’en ay sceu le retour aussi-tost que l’absence ;
Ce changement soudain, cette molle impuissance,
M’empeschent d’esperer qu’il s’accorde à mes vœux ;
Mais, le cadet encor n’estant pas amoureux,
C’est là qu’il faut tourner l’effort de la machine,
Et de peur que Thaïs, ou quelque autre voisine,
Par son civil accueil ne l’aille retenir,
Sans perdre un seul moment il le faut prevenir.
S’il se pouvoit, ô Dieux ! que j’aurois d’alegresse !
Tu sçais qu’il a long-temps voyagé par la Grece :
À peine en revient-il, et, depuis son retour,
Je ne vois point qu’encor il ait conceu d’amour :
Ses plaisirs ont esté les chevaux et la chasse.
Avant qu’une Maistresse en son cœur ait pris place,
Peut-estre son devoir ailleurs l’aura porté.