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L’époux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. À ses côtés sa femme
Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler.
Le mari fait seul le voyage.
La belle avait un père, homme prudent et sage ;
Il laissa le torrent couler.
À la fin pour la consoler :
Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes ;
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout-à-l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais après certain temps souffrez qu’on vous propose
Un époux, beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. Ah ! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l’époux qu’il me faut.
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe ;
L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :
Le deuil sert enfin de parure,
En attendant d’autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin ;
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
Où donc est le jeune mari
Que vous m’avez promis ? dit-elle.