Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/287

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On dirait qu’un esprit anime mille corps :
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts.

Pour revenir à notre affaire,
Le cerf ne pleura point. Comment l’eût-il pu faire ?
Cette mort le vengeait : la reine avait jadis
Étranglé sa femme et son fils.
Bref, il ne pleura point. Un flatteur l’alla dire,
Et soutint qu’il l’avait vu rire.
La colère du roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi lion ;
Mais ce cerf n’avait pas accoutumé de lire.
Le monarque lui dit : Chétif hôte des bois,
Tu ris ! tu ne suis pas ces gémissantes voix !
Nous n’appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles ! Venez, loups,
Vengez la reine ; immolez, tous,
Ce traître à ses augustes mânes.
Le cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d’ici m’est apparue ;
Et je l’ai d’abord reconnue.
Ami, m’a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les dieux, ne t’oblige à des larmes.
Aux champs élysiens j’ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du roi.
J’y prends plaisir. À peine on eut ouï la chose,
Qu’on se mit à crier : Miracle ! Apothéose !
Le cerf eut un présent, bien loin d’être puni.

Amusez les rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges :