Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 18.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques jours, s’approchèrent aussi de Phelipeaux, où n’apercevant personne, ils pillèrent tout ce que mes gens n’avaient pas eu le temps d’en apporter, surtout une certaine quantité de poudre que j’y tenais en réserve pour le dernier besoin. Ainsi nous passâmes tout l’hiver dans le fort, sans vivres, sans poudre, menacés d’y périr de misère, et dans l’appréhension continuelle d’y être attaqués par des traîtres affamés de nos marchandises. »

Un navire de la Compagnie, qui arriva l’année suivante, fit renaître l’abondance au fort Bourbon ; mais rien n’y était plus nécessaire que les marchandises de traite, dont les sauvages avaient autant de besoin que les Français. La faim en avait fait périr un grand nombre. Comme ils ont perdu l’usage des flèches depuis que les Européens leur portent des armes à feu, ils n’ont pas d’autre ressource en hiver que le gibier qu’ils tuent au fusil. Jamais ils n’ont tenté de cultiver une terre dont ils connaissent la stérilité. Sans cesse errans au milieu des neiges, ils ne passent pas huit jours dans un même lieu. Jérémie assure que, lorsqu’ils sont pressés par la faim, les pères et les mères tuent leurs enfans pour les manger, et qu’ensuite le plus fort des deux mange l’autre. Il ajoute que les exemples n’en sont pas rares. « J’en ai connu un, dit-il, qui, après avoir dévoré sa femme et six enfans qu’il avait d’elle, avouait qu’il n’avait eu le cœur attendri qu’au dernier ; qu’il lui avait donné ce rang, parce