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FLEURS FANÉES


Comme l’on garde un glorieux trophée,
J’ai conservé trois brins de réséda
Qu’un soir d’avril ma mignonnette fée
 Pour quelques baisers me céda.

C’était peut-être un simple enfantillage ;
Peut-être aussi la folle avait caché
Un sens d’hymen mystique en ce partage
 De son pauvre bouquet séché…

Que n’y pensai-je, hélas ! à l’instant même :
« Oui, fiançons-nous, aurais-je dit, je t’aime ;
 De mon spleen avril est vainqueur ! »

Et dans la nuit, sur ses blanches épaules,
J’aurais alors buriné ces paroles

 Avec la pointe de mon cœur !
PAUL BERLIER.






CONTES FANTASTIQUES

LE CONTRE-FA


Toute certitude est dans les rêves.
E.-A. Poë.


Soudain la Catalini cesse de chanter, ferme d’un coup sec le piano, et se tournant vers Lovarias : « Vous n’entendez donc pas cette voix ? »

Et la tête inclinée, elle écoute longtemps, dans le brusque silence.

Elle est bien belle ce soir, l’étoile, la diva, la reine ; non pas impérialement belle comme dans Sémiramis, ni espièglement jolie comme dans le Mariage secret ; mais belle d’une étrange beauté douloureuse. Regards aigus, narines dilatées, lèvres tordues, elle émerge tragique des plis cassés de sa robe à traîne, et ses seins, dressés, palpitent.

« Vous avez vos nerfs, mon enfant, » tremble de son timbre usé le vieux Lovarias, Avec une galanterie exquise, une politesse imper-