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DE LA VERTU DES PAYENS.


tains Païens qui ont été dans la plus haute eſtime parmi les Grecs ou les Romains ; & avec quel reſpect nous pouvons être obligés de

    entre ce qui n’eſt pas digne de la gloire éternelle, & ce qui ne mérite que les ſupplices de l’enfer. On peut dire que les actions moralement bonnes des Païens ont été déſagréables à Dieu, en tant qu’il ne les a pas acceptés pour leur ſalut, mais on ne ſauroit dire ſans offenſer ſa bonté & la juſtice, qu’il les trouve indignes de quelque petite recompenſe temporelle, bien moins qu’elles méritent poſitivement ſon indignation
    A ce que l’on oppoſe avec tant de chaleur, que cette doctrine met des fondements à l’indifférence des Religions, je voudrois bien qu’on me le fit voir. Je n’ai jamais ouï que pas un de ceux qui recognoiſſent les actions morales des Païens pour bonnes, eût aſſez de témérité pour aſſurer qu’elles ſoient ſuffiſantes au bonheur de la vie éternelle. Il n’y a que le ſang du fils de Dieu qui montre juſques là. Tout ce qui fait l’homme hors du ſecours de ſa Grace, ne ſont que de foibles élans qui ne l’élèvent pas de la Terre. Si la Vertu Morale ſeparée de cette aſſiſtance le peut ſauver, pourquoi veut-on qu’elle le danne ?

    Mais quoi ; s’il ſe trouvoit un homme qui vécut moralement bien au milieu de la Gentilité, ſeroit-il ſauvé en vûe de ſes actions vertueuſes ? Il n’y a perſonne aſſez impie pour le
    ſoutenir ; je dis au contraire, quelque pieté naturelle qu’il eût, que toute ſa vertu lui ſervirroit à rien que pour flèchir la miſericorde de Dieu à quelque ſecours ſecret de la Grace ſurnaturelle, qui le tireroit de ſon impuiſſance : Parce que je ne me ſaurois perſuader que la Providence manque à ceux qui font tout ce qui eſt en leur pouvoir, & qui ne laiſſe aucun bien qu’ils connoiſſent. J’avouë qu’il eſt preſque impoſſible de ſe conſerver dans cette innocence naturelle ; mais ſuppoſé que par une conduite extraordinaire quelqu’un ſe garantit du pèché, & qu’il s’xerçât dans tout le bien que ſa raiſon lui dicteroit, j’eſtime qu’il y auroit du blaſpheme de dire que la bonté de Dieu l’abandonnât dans cet état ; & je tiens avec beaucoup de ſavans Théologiens, qu’il ſeroit plûtôt un miracle, que de laiſſer perir par le defaut d’un ſecours, qui ne lui peut venir de lui. Et en cela je n’avance rien qui ſoit injurieux à la Grace de Jeſus Chriſt, puiſque j’avouë qu’un Païen ne peut rien faire de méritoire pour la gloire, ſans elle ; mais je maintiens ſeulement, que comme elle a remonté avant la NaiVVance du Meſſie à ceux qui parmi les Païens vivoient moralement bien ; de même qu’elle s’écouleroit à ceux, qui ſous les Poles de l’Amerique ſe tiendroient exactement à la prati-