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LA NATURE.

au plafond avec des boites de fer-blanc, destinées à conserver les collections. Des lampes pendues à un axe mobile, éclairent le chimiste, malgré les oscillations de son laboratoire ballotté à la cime des vagues.

Presque tout l’avant de l’embelle du Challenger, est occupé par les drisses des sondes et des filets, par les appareils thermométriques, et photométriques de M. Siemens, par toutes les machines encombrantes, telles que pompe hydraulique, et aquarium.

Des laboratoires de zoologie, des cabinets de physique, riches des plus beaux appareils, complètent l’armement de ce navire, que ses captures ne tarderont pas à transformer en un Muséum flottant.

L’expédition a quitté Portsmouth à 11 h. 30, le 21 décembre 1872. « Pendant une semaine, dit M. Thomson, nous fûmes ballottés à l’embouchure du canal de la Manche, et nous arrivions péniblement à la baie de Biscaye… Un peu avant d’atteindre Lisbonne, le temps s’est calmé jusqu’à Gibraltar… Je vous écris maintenant à 100 milles au nord de Madère. Nous avons fait quelques sondages heureux, à de grandes profondeurs de 2 000 brasses environ[1] ; ils ont mis entre nos mains un grand nombre d’espèces animales dont la plupart sont d’une grande rareté, et dont quelques-unes sont nouvelles pour la science. C’est de la grande vergue que l’on jette le filet de sondage, soutenu par un système spécial, à l’extrémité de la vergue.

Les deux ou trois premiers coups de filets ne nous fournirent plus bientôt au delà des côtes de Lisbonne que de la vase marine, visqueuse et homogène. »

Plus tard, à la hauteur du cap Saint-Vincent, la grande sonde est jetée en mer, elle atteint le fond à une profondeur de 600 brasses, et rapporte à bord, dans le filet dont elle est munie, plusieurs espèces de poissons (genre Macrourus, Mugil, etc.). Ces poissons se trouvaient dans une situation particulière, par suite, de l’expansion de l’air contenu dans leurs organes : l’extrême diminution de pression qu’ils subissaient à la surface de la mer leur faisait sortir les yeux de la tête ; on les eût dit intérieurement poussés par un ressort.

« Dans nos sondages postérieurs, ajoute M. Wyville Thomson, nous avons ajouté à notre collection plusieurs crustacés remarquables. L’un d’eux retiré d’une profondeur de 1 090 brasses, appartenait à l’ordre des Amphipodes ; il avait environ 9 centimètres de longueur, et ses yeux fort remarquables s’étendaient en deux grands lobes sur toute une partie de sa tête. »

Les mollusques sont extrêmement rares dans les eaux profondes, et les prises opérées par le Challenger se sont bornées à quelques espèces n’offrant pas d’intérêt spécial. Mais une des captures les plus remarquables, faites à la profondeur de 1 525 brasses, consiste en un nouveau polype de la famille des Bryozoaires ; la forme de cet être bizarre est celle d’une coupe de cristal ; la base de son corps étrange se rassemble en une tige transparente de 5 à 7 centimètres de haut, analogue au pied d’un verre de Bordeaux. Les Échinodermes ont fourni aussi des échantillons très-variés, très-intéressants ; et parmi ceux-ci il faut mentionner un individu fort rare, déjà décrit par Agassiz sous le nom de Salenia Varispina.

À de grandes profondeurs, la sonde a souvent rapporté des Gorgones, douées d’un pouvoir de phosphorescence très-prononcé. La lumière que ces êtres projettent serait-elle destinée à éclairer le fond de l’Océan, que l’on supposait jusqu’ici plongé dans les ténèbres. Brillerait-il, au contraire, de clartés et de lueurs produites par les habitants dont il abonde ?

Le capitaine Maclear, s’occupe spécialement à bord du Challenger, de ces phénomènes de phosphorescence, dont il étudie les propriétés spectrales, et qui lui apporteront certainement une riche moisson de faits inattendus.

On voit que l’expédition du Challenger, est digne de fixer l’attention de tous les amis de la science. Cette vaillante corvette n’a encore jeté sa sonde que sur quelques points de la superficie maritime ; elle ne l’a cependant presque jamais retirée des bas-fonds de la mer, sans y trouver des témoins de la vie, dans les profondeurs océaniques, sans y rencontrer quelque produit, digne d’être analysé et étudié par le savant. Que sera-ce quand ses explorations vont se porter vers des mers plus éloignées, vers des régions moins connues, et dans des profondeurs plus grandes ? Que de mystères sont cachés à nos yeux sous cette nappe mouvante de l’Océan ! Que d’énigmes sont à jamais enfouies sous ces flots mobiles, qui nous cachent une faune et une flore d’une richesse si prodigieuse, que la sonde jetée au hasard en recueille partout des vestiges.

Il ne manque certes pas de conquêtes à faire au sein des abîmes océaniques qui, quoique voisins de nous, sont aussi peu connus que les profondeurs du firmament !

Gaston Tissandier.

La suite prochainement. —


LE TREMBLEMENT DE TERRE
DE LA SAINT-PIERRE (29 JUIN 1873).


Le centre de cet ébranlement, dont les proportions ont dépassé celles des tremblements de terre, assez fréquents dans le district alpestre, paraît avoir été dans l’intérieur du triangle formé par Trévise, Bellune et Conegliano, et principalement sur les bords du Soligo, petit torrent qui se jette dans la Piave.

Les secousses ont fait vibrer le sol au delà de ce district. On les a senties avec une intensité d’autant plus grande qu’on s’en approchait davantage ; mais tout l’État vénitien, la Lombardie, la partie orientale du Piémont, l’Illyrie, le Tyrol autrichien, même les

  1. La brasse anglaise vaut 1m,80 environ.