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LA NATURE.

l’auteur montre que l’entreprise ne peut avoir de succès que par l’emploi de grands navires. Mais, dans ce cas, il faut de grands ports où, même à marée basse, ceux-ci puissent aborder. Sur la côte anglaise un port de ce genre existe. À Douvres, grâce à la construction d’une longue jetée, on a un débarcadère où, même à marée basse, le fond est à 40 mètres. Mais, du côté français, rien de pareil n’existe. Avant tout il faut donc améliorer un port de nos côtes. Seulement cette entreprise coûterait fort cher et on doit se demander si l’opération serait de nature à faire récupérer ses frais. Or on ne peut prévoir ce résultat que si le nouveau mode de transport s’applique aux marchandises dont le transit, comme on sait, fait vivre les compagnies de chemin de fer. Alors une nouvelle difficulté se présente ; elle est relative à l’embarquement. Pour faire une traversée de 1 heure et demie, il ne faut pas qu’on ait à passer 21 heures à arrimer les marchandises dans le navire.

Évidemment l’embarquement le plus rapide consiste à mettre à bord le train tout entier qui le contient, et c’est ainsi qu’on arrive forcément à la conception des navires porte-train.

Dès lors l’entreprise est de nature à couvrir ses frais et il faut voir quel port on doit chercher à améliorer. Celui qui par sa position est naturellement désigné, c’est Calais. Mais à marée basse on n’y peut entrer qu’avec de très-petites embarcations ; aussi le service des ponts et chaussées a-t-il construit une double jetée traversant la zone des sables du littoral. Ce travail repris à plusieurs reprises est toujours devenu inutile à cause de l’ensablement que le courant reproduit très-rapidement, et on y a définitivement renoncé. Il faut dont s’attacher à faire un port qui ne contrarie pas le régime des courants, et par cela M, Dupuy construit en mer, à 350 mètres de la laisse de basse mer, un îlot en forme de navette présentant sa pointe au courant. Cet îlot, ouvert du côté de la terre, renferme un vaste bassin qui servira de port toujours à l’abri du gros temps. L’îlot est relié à la terre ferme parmi pont à grandes arches de 1 150 mètres de longueur et prolongeant la voie ferrée jusqu’au port d’embarquement. Un train arrivant de France traverse ce pont, arrive à l’îlot par une pente de 5 millimètres par mètre, et, reculant alors sur une autre voie, vient s’engager, grâce à des dispositions très-ingénieuses, dans l’entrepont d’un navire disposé pour le recevoir.

Ce navire de 135 mètres de long peut recevoir soit un train de 17 wagons dont 3 pour les bagages, soit un train de 15 wagons de marchandises. Sa force est de 3 500 chevaux. Il fait 18 milles marins à l’heure et effectuera, par conséquent, sa traversée en moins de l heure et demie par le plus mauvais temps. L’auteur entre dans une foule de détails au sujet de l’embarquement et du débarquement des trains, et expose les conditions que remplissent ses navires pour que le roulis y soit le moins sensible. Il termine en annonçant que son travail va être soumis à l’Assemblée nationale avec un projet de loi qui résoudrait prochainement avec l’Angleterre la « question de l’amélioration de nos relations. »

— Si l’on ajoute à ces divers faits une communication fort intéressante sur la planète Mars, un mémoire de M. Sédillot sur l’application de l’électricité à la médecine et à la chirurgie et l’élection de nombreuses commissions chargées de juger les ouvrages adressés à différents concours, on aura un bilan à peu près exact de la séance.

Stanislas Meunier.

RUPTURE DU CÂBLE DE SINGAPORE
PAR UN POISSON.

On a déjà enregistré, aux. États-Unis, des faits curieux sur la rupture de câbles électriques sous-marins dus à l’attaque d’habitants des mers. Le câble de la Floride à Cuba a été une fois déjà endommagé par la morsure de grands poissons ; il en a été de même du câble plongé dans la mer de Chine. — M. Frank Buckland donne, dans le Scientific American, de curieux détails sur un accident survenu au câble de Singapore. Ce câble a été dépouillé de son enveloppe de chanvre et percé, de part en part, par une cause accidentelle.

Spécimen du câble rompu de Singapore.

Notre figure, reproduite d’après un dessin de M. Buckland, représente en 1 une coupe destinée à montrer la disposition intérieure des fils ; en 2, est l’orifice ouvert, en 3 l’enveloppe rabattue. — Ce câble, posé le 11 décembre 1870, cessa de fonctionner en mars 1871. Un navire fut chargé de le relever, et trouva la rupture à 200 milles de Singapore. Le câble était percé, comme nous le figurons, et des morceaux d’os se trouvaient comme broyés au milieu de l’orifice. M. Buckland, naturaliste distingué, examina longtemps ce curieux échantillon, séparé du reste du câble ; il remarqua que l’orifice avait été percé et non broyé par une mâchoire. Après avoir longtemps médité en vain sur les causes certaines de cet accident, il trouva enfin, et par hasard, dans sa collection un poisson-squale (pristis antiquorum) dont il détacha la scie, avec laquelle il pratiqua, dans le câble, un orifice semblable à celui qui y existait déjà.

M. Buckland ajoute que les poissons-scies ont l’habitude de fouiller les fonds marins pour chercher leur nourriture, en imprimant un mouvement de va-et-vient à l’espèce de lance aiguë dont ils sont armés. L’extrémité de la scie d’un de ces poissons se sera engagée dans les filaments extérieurs du câble, un soubresaut brusque de l’animal l’aura fait pénétrer plus profondément encore, jusqu’à ce que de violents efforts aient brisé la scie, après l’avoir fait traverser le câble de part en part.

G. T.



Le Propriétaire-Gérant : Gaston TISSANDIER.

paris. — imp. simon raçon et comp., rue d’erfurth, 1.