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LA NATURE.

LES PÈCHES DU CHALLENGER
ASTACUS ZALEUCUS.

Nous ne manquerons pas de tenir nos lecteurs au courant des découvertes les plus curieuses faites dans cette grande croisière scientifique, encore sans précédents dans l’histoire des explorations du monde, quoique les fonds de la mer aient été explorés déjà, et notamment par des savants français[1]. Nous allons inaugurer cette intéressante série en représentant un crustacé aveugle que M. Wyville Thompson nomme l’écrevisse astacus zaleucus. Cet étrange habitant des mers a été découvert à une profondeur de 2 000 mètres, dans les environs de Saint-Thomas (mer des Antilles). Il vit donc dans un milieu où règne une pression de 200 atmosphères. Ce qui rend véritablement remarquable la constitution de cet astacus, ce n’est point seulement tel ou tel détail de son organisme, mais l’absence absolue d’organes visuels. Non-seulement les yeux manquent, mais on ne trouve même pas de traces des pédoncules qui dans les genres analogues portent ces organes. Tout a disparu de la façon la plus complète.

Astacus zaleucus.
Nouveau crustacé aveugle trouvé à 2000 mètres au fond de la mer.
(Grandeur naturelle.)

Il semblerait que les pédoncules ont été extirpés par un très-habile opérateur, qui aurait trouvé qu’un appareil visuel est inutile à un être destiné à vivre dans d’épaisses ténèbres et qui aurait poussé la précaution jusqu’à boucher avec une membrane chitineuse la base des pédoncules extirpés.

Si nous examinons les palpes extérieures de notre écrivisse aveugle, nous trouverons qu’elles sont très-longues, comme il convient à un animal qui se meut dans les ténèbres. Quant au rostre, il est terminé par deux houppes élégamment recourbées et garnies de poils qui doivent servir au tact et lui donner une véritable délicatesse.

Les deux pinces sont inégales, comme il arrive souvent aux homards, mais ce défaut de symétrie ne provient point d’une disposition attaquant la distribution des organes de part et d’autre de la ligne médiane du corps. Peut-être une des pattes a-t-elle été perdue dans une des luttes désespérées de la vie sous-marine. Plus jeune que l’autre, cette pince mineure est encore à l’état rudimentaire. Quoi qu’il en soit, la pince majeure est pourvue de crocs et de dents qui feraient envie à un crocodile. Tout aveugle qu’elle est, l’écrevisse zaleucus doit trouver très-souvent moyen d’assouvir sa voracité aux dépens des innombrables habitants du fond des mers.

salenica varispina.

Ce joli spécimen d’une espèce d’oursin établie par Agassiz a été capturé, le 24 mars, en quittant le port de Charlotte-Amélie (île de Saint-Thomas). Le navire n’avait point encore franchi la passe Culebra, et la mer avait déjà 1 250 mètres de profondeur. Les salenica varispina sont très-répandus dans ces parages intéressants du monde sous-marin, où l’on ne trouve que peu de coraux et très-peu de coquillages. Le

  1. Voy. l’Expédition du Challenger, p. 97.