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Page:La Nature, 1878, S2.djvu/7

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LES PÉRIODES VÉGÉTALES
DE L’ÉPOQUE TERTIAIRE[1].

Vues générales sur l’ensemble des périodes.

Les notions qui ont été développées précédemment se rattachent à trois ordres de phénomènes très-distincts, bien qu’il y ait entre eux des connexions de plus d’une sorte et qu’ils aient fréquemment et nécessairement réagi l’un sur l’autre : nous voulons parler de la configuration géographique du sol de l’Europe, des variations et de l’abaissement final de la température, enfin des changements éprouvés par le règne végétal au point de vue des modifications purement organiques. L’existence de ces trois ordres de phénomènes ne saurait être sérieusement contestée. Il est certain que l’étendue relative des terres et des mers et l’orographie même de notre continent ont subi des variations notables dans le cours des temps tertiaires. Il n’est pas moins exact qu’à partir d’un moment donné et indépendamment de la configuration des terres et des mers, le climat européen est allé en se dégradant jusqu’à ce que les conditions qui le régissent maintenant se soient réalisées. On ne saurait nier non plus, à moins de s’obstiner dans des préventions non justifiées, que les formes végétales ne se soient graduellement modifiées, et par ces modifications nous n’avons pas seulement en vue les adjonctions ou les vides dus à l’action des causes locales, dus encore à l’effet des migrations qui ont successivement communiqué ou repris à l’Europe une partie de ses richesses végétales, mais encore les mutations attribuables à l’organisme seul et que le temps entraîne forcément chez les espèces et les types dont il est possible de suivre la marche à travers les âges, comme une conséquence directe de l’activité biologique, sujette parfois à demeurer latente, mais qui ne se repose cependant jamais entièrement.

On doit reconnaître aussi que de ces trois ordres de phénomènes, deux au moins ont rarement agi d’une façon isolée ; en sorte que le climat de chaque période a été nécessairement affecté par le relief du sol et la distribution relative des terres et des mers, tandis que cette distribution exerçait une influence sensible sur la composition de la flore, soit en favorisant l’introduction en Europe de telle ou telle catégorie de végétaux, soit en lui en interdisant l’entrée. Quant à l’action du climat sur le monde des plantes, il n’est pas besoin d’y insister et son importance parle d’elle-même. C’est elle, jointe à la configuration du sol émergé, qui constitue le milieu avec lequel l’organisme est mis en contact, qui le sollicite dans des sens très-divers et donne naissance aux ébranlements d’où sortent enfin les diversités morphologiques qui nous frappent chez les êtres que nous examinons, qu’ils vivent encore ou que nous possédions seulement leurs vestiges.

Attachons-nous maintenant aux trois ordres de phénomènes que nous venons de définir, pour les décrire séparément en assignant à chacun d’eux la part qui lui revient dans les faits dont se compose l’histoire de la végétation tertiaire. Si l’on veut se rendre compte de ce qu’était le continent européen au commencement des temps tertiaires, il faut remonter plus haut dans le passé et rechercher d’abord ce qu’il était dans les âges antérieurs. Vers le milieu de l’époque jurassique, notre Europe ne formait encore qu’un archipel de grandes îles, qui pourtant tendaient graduellement à se rejoindre, puisque, en France notamment, le seuil de la Bourgogne et celui du Poitou commencèrent à se prononcer lors de la grande oolithe et soudèrent l’île centrale à la région des Vosges, d’une part, à la Vendée et à la Bretagne, de l’autre (fig. 1). À l’époque de la craie blanche, si on laisse de côté la Scandinavie qui formait sans doute, dans la direction du nord, une contrée plus vaste que de nos jours, on constate l’existence d’un continent central qui paraît comme une réduction de l’Europe actuelle (fig. 2).

L’Allemagne du milieu et celle du sud, la France de l’est, du centre, et presque toute celle du sud-est, étaient alors émergées, sauf quelques îlots ; l’Italie est encore à peu près entièrement sous les eaux. Mais, à mesure que l’on se rapproche de la terminaison supérieure de la craie, on voit les émersions se prononcer de plus en plus et l’étendue des mers se restreindre tellement que l’Allemagne du nord est tout à fait délaissée par l’océan d’alors, sauf une lisière du côté de la Westphalie, des Provinces rhénanes et de la Néerlande. Le bassin de Paris tend à s’amoindrir à la même époque, la mer pisolitique se trouvant comprise dans des limites bien réduites, si on la compare à celle de la craie blanche. Il en est de même vers le midi de la France, entre Nice et les Pyrénées. Dans cet espace, les derniers dépôts datent du sénonien supérieur ; les échancrures peu accusées des mers crétacées méridionales, leurs sédiments d’origine saumâtre, les alternatives qui firent succéder sur beaucoup de points l’action des eaux fluviatiles à celle des eaux salées, témoignent de ce retrait qui, bien avant la fin de la période crétacée, se trouve définitivement accompli. On est alors en présence de puissants dépôts fluvio-lacustres que le géologue peut suivre depuis le Var jusqu’au delà des Pyrénées, en Aragon et au centre de l’Espagne ; ils semblent se rattacher à une série de lacs profonds reliés par des déversoirs et dénotent l’existence d’une contrée étendue, excédant de beaucoup les limites du littoral méditerranéen actuel.

C’est alors que s’ouvre la période paléocène, la première de celles entre lesquelles nous avons partagé l’âge tertiaire. Les mers se trouvent réduites à de faibles limites dans tout le périmètre européen ; presque nulle part, sauf en Belgique, aux environs de Mons et sur quelques points de la Champagne ou de la Picardie, elle n’empiète sur le sol continental

  1. Voy. tables des matières des années précédentes.