Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/803

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triompherez… Oh ! j’ai foi en vous… Je vous comprends si bien ! Vous m’avez révélé la musique. Il me semble que, moi aussi, guidée par vous, j’aurais du talent…

— Pourquoi ne pas nous entr’aider tous deux ? dit-il avec une expression de tendresse qui me bouleversa tout entière… J’ai deviné que vous êtes, chez votre tuteur, comme un pauvre petit rossignol perdu dans une volière de perroquets… Pardonnez mon irrévérence… Vous êtes une étrangère parmi ces bons Philistins. Ah ! quand je vous ai parlé, la première fois, j’ai bien senti que vous étiez de ma race… N’est-ce pas, Marianne, vous n’êtes pas heureuse toujours ?

— Non, pas toujours, répondis-je sans savoir ce que je disais…

— Voulez-vous que je sois votre ami ?

L’émotion m’étouffait. Rambert, oubliant tout, se rapprochait de moi :

— Je vous aime, je vous aime tant ! balbutia-t-il, dans l’ombre où nul ne pouvait nous entendre… Marianne, Marianne !

— Prenez garde ! murmurai-je, la tête perdue… Vous ne savez pas… Je…

La voix de mon parrain, s’élevant, inquiète et surprise, nous sépara brusquement… Je quittai la fenêtre, toute défaillante. Rambert, presque aussitôt, prit congé.

« J’aime ! J’aime et je suis aimée !… » Un hymne de triomphe éclata dans mon cœur pendant une nuit inoubliable. La vie était belle, la vie était bonne ! Tous mes rêves à la fois s’étaient réalisés… La pauvre fille qui pleurait sur sa laideur prétendue et sa pauvreté certaine, la pauvre Marianne, élevée quasi par charité, destinée au célibat, à la vie pénible, au professorat fastidieux et humiliant, s’éveillait d’un long cauchemar, belle, heureuse, amoureuse, aimée par un homme dont le charme et le talent auraient séduit les plus difficiles… Et ne séparant pas, dans ma naïveté, le rêve du mariage du rêve de l’amour, je me voyais devenue la femme de Rambert… « Oh comme je l’aiderai, comme je saurai le soutenir et le comprendre !… Je me dévouerai à son œuvre je lui ferai la vie si douce qu’il chérira notre foyer ! J’ignore s’il est riche ou pauvre, estimé ou méconnu… Qu’importe ! je ne sais rien de sa vie et tout de son cœur. Il m’aime ! il m’aime ! Me voilà donc sortie de ces régions de trouble et de ténèbres où je me suis agitée si douloureusement ! Me voilà dé-