Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/21

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grâce à la science moderne et à ses inventions, elle a rendu la guerre plus hideuse encore qu’autrefois.

Sa Némésis à elle, c’est qu’elle ne comprend rien au monde extérieur. Elle s’est trompée sur ce que ferait la Belgique, sur ce que ferait la France, sur ce que ferait la Russie ; et elle s’est trompée plus grossièrement encore sur ce que ferait l’Angleterre. Et elle comptait sur les sympathies de l’Amérique !

Ainsi résumée, la prussianisation de l’Allemagne paraît fantastique ; fantastiques aussi et irréelles la crédulité absolue, la foi fervente, abjecte, des jeunes gens hypnotisés. Écoutez ce que disait récemment un jeune Allemand. J’ai vu sa lettre, adressée à un de mes amis. Il avait été le précepteur des enfants de mon ami. Charmant, d’une éducation parfaite, il ne donnait aucun signe d’hypnotisme. Il part pour la guerre ; dans son pays il respire les miasmes prussiens. Bientôt après, on reçoit de lui une lettre ; c’est — pendant les premières pages — la lettre qu’on peut attendre d’un jeune homme ardent et sincèrement patriote. Puis les miasmes produisent leur effet et, tout-à-coup, il est pris du vertige moral et écrit ceci :

« L’existence de l’individu ne compte plus pour rien ; les hommes sans instruction même sentent qu’il y a en jeu quelque chose de plus grand que le bonheur de l’individu ; et les gens instruits savent que ce quelque chose, c’est la culture de l’Europe. L’Angleterre, par ses mensonges éhontés et sa froide hypocrisie, a perdu le droit de se regarder comme une nation cultivée. La France, en tout cas, a vu la fin de la plus belle époque de son existence ; votre pays est trop lent à se développer, et les autres pays sont trop petits pour continuer l’héritage de la culture grecque et de la foi chrétienne, les deux éléments principaux de toute haute culture moderne ; alors c’est à nous qu’incombe cette tâche, et nous l’accomplirons, dussions-nous succomber, et des millions d’autres avec nous. »

C’est bien cela ! Cet étudiant éclairé, cette noble nature, ce jeune homme d’avenir est prussianisé, ainsi que des millions d’autres jeunes gens comme lui, au point d’être devenu un fou furieux, nageant dans une mer de sang ! Est-il rien de plus tragique ? Voici comment le Wilhelm Meister de Goethe s’imagine la perte d’Hamlet et les causes qui l’ont amenée :

« Un chêne est planté dans un vase précieux qui n’aurait dû renfermer dans ses flancs que des fleurs épanouies ; les racines s’étendent et le vase est brisé. »

La Prusse, plantée en Allemagne, a fait éclater l’empire.

XI.

Nous voici maintenant préparés à entendre la doctrine prussienne. Nous allons donner, dans les lignes qui suivent, le corps de cette doctrine composé phrase par phrase de choses dites par des Prussiens, par le Kaiser et ses généraux, par des professeurs et des publicistes et par Nietzsche. Une partie de ces choses ont été dites de sang-froid, des années avant la guerre ; mais dans