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Le bruit
Du souffle que j’enseigne à tes lèvres, mon double,
Sur la limpide lame a fait courir un trouble !...
Tu trembles !... Mais ces mots que j’expire à genoux
Ne sont pourtant qu’une âme hésitante entre nous,
Entre ce front si pur et ma lourde mémoire...
Je suis si près de toi que je pourrais te boire,
O visage !... Ma soif est un esclave nu...
 
Jusqu’à ce temps charmant je m’étais inconnu,
Et je ne savais pas me chérir et me joindre !...
Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre
Des ombres dans mon cœur se fuyant à regret,
Voir sur mon front l’orage et les feux d’un secret,
Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée
Trahir... peindre sur l’onde une fleur de pensée,
Et quels événements étinceler dans l’œil !
J’y trouve un tel trésor d’impuissance et d’orgueil !
Que nulle vierge enfant échappée au satyre.
Nulle ! aux fuites habile, aux chutes sans émoi,
Nulle des nymphes, nulle amie, ne m’attire
Comme tu fais sur l’onde, inépuisable Moi !...