Page:La Révolution surréaliste, n06, 1926.djvu/11

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LA FUITE matin qui est simple et c’est, le soir qui boit comme un animal gris. Féroces, ils sont féroces ceux qui jettent le matin dans la note du sommeil et plus cruels sont ceux qui détachent le soir de la nuit. Un homme, est alourdi de tout son désir. 11 voudrait ramper, ramper encore et se glisser jusqu’aux pieds pour serrer le cou et la tête, pour presser des seins, pour aimer des oreiiles, une oreille. Il est vrai qu’il y a encore cet oeillet rouge et le matin et le soir. Edgar va souffrir. Edgar sait souffrir. Il n’a pas peur. Il aime cette souffrance qui va le jeter dans les bras de cette femme et l’écraser contre cette poitrine. Il attend cette douleur qui lui fera écarter ces jambes et tomber d’un seul coup dans ce vertige. Il sait souffrir pour ce vertige qui le force, qui le cerne de toutes parts. Il attend et il l’appelle. II se dénonce et se fait le prisonnier. Trop de minutes encore, trop de secondes. Un grand geste et cette bouche contre sa bouche, ses mains sur ces hanches, son sexe dans ce sexe. Se halètement, cet appel de ses poumons, ses cuisses contre ces genoux, trop de temps, Une fois, une seule fois peut-être, mais tout de suite. Le grand espace qui est plus loin, il s’en fout. Une fois maintenant, cette bouche contre sa bouche, sa tête contre cette épaule. .1!n’y a que les yeux. Elle sourit. Ses dents sont petites et elles savent mordre, mordre, merdre. Elle regarde le grand nègre comme si elle le connaissait et elle tord la tige de cet oeillet qui ressemble à son sourire. Déjà ses paupières ont l’air de prier. Et ses doigts avancent au devant de. cette prière. La main s’est posée comme un chat sur sa tempe. Edgar s’asseoit près d’elle. Iî baisse la tête. «Ah, mon petit, mon petit. ; Edgar a envie de rire. Elle a fermé les yeux. Il souhaite qu’elle, ne les ouvre plus jamais. Comme çt.. La vie roule dans les ténèbres. C’est un bruit lent et mou. Ainsi le sang va et va, on croirait qu’il s’enfuit, qu’il coule. Des doigts sanglants qui font. mal. Elle ferme les yeux toujours. Edgar la voit : elle est là, un peu courbée. Un bruit lenl. et un homme qui mollit et qui voudrait s’aplatir, tomber encore. La voilà qui se penche et qui baisse la tête, les yeux et les bras. 11regarde. Ulle a ouvert les yeux. Elle dit : « Je m’appelle Dolly. » Elle tourne la tête. Il y a près d’elle un corps que l’attente a durci et refroidi. « Je m’appelle Dolly. » C’est la nuit qui commence et à pas lents, elle va vers cette porte. Lui jette de l’argent et. il la suit comme ça. C’est bien la nuit : elle est nue. Ce grand corps noir presque bleu qui se jette à la rue ne peut, plus se souvenir. C’est déjà le matin, c’esl déjà le’ soleil qui éclate et qui va tomber lentement. Edgar est là de nouveau. Il est seul. Le bar chante. Ce n’est pas sa mémoire qui se souvient, mais son corps. L’oeillet rouge ne signifie plus rien. C’est sa bouche qui brûle et ses genoux qui saignent. Son coeur bat et voilà tout. Il est seul pour combien d’années. Elle est entrée. C’est la même. Ni sa nuque, ni ses lèvres, ni sa main droite... Elle. Le jour et elle. Le bar se tait. Le sang monte jusqu’aux yeux. Il est bon que ce jour soit enfin tout à l’ait clair. Dans le ciel on voit flotter des plumes et des oiseaux. Il est bon que ce soleil soit à droite et non à gauche parce qu’elle a un grain de beauté là sur la joue. Edgar fouille dans sa jjoclie. Il tire des billets, le plus de billets possible et il les montre. 11veut qu’elle sache qu’il est encore riche. Il veut tout lui donner. Cela lui est dû. lit font lui donner d’un seul coup, sans lésiner ni marchander. Ce. n’est, pas Edgar qui donnerait sou par sou. «Mon petit, voilà Leni: ce que j’ai, c’est à toi. » lit c’est elle qui refuse, c’est, elle qui dit. : «C’est trop », et elle prend un tout petit billet. Tant pis, elle n’a pas compris. Elle lui fait un signe, il U suit. Il la prend : elle est à lui. Iln’y apasdejoieàtenir cequipeut s’échapper. Il y a seulement un désir qui monte et qui descend. Ce qu’il faut c’est oser toujours et; s’approcher très vite. Encore une fois ce jour qci coupe la vie. La nuit est encore, meilleure, plus noire, plus silencieuse. Philippe SOUPAULT.