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LE SURREALISME ET LA PEINTURE

reposées, il y a temps pour l’arrêt de ce qui fuit le plus vite. « Les papiers collés dans mes dessins m’ont donné une certitude » a écrit Braque et il est cause que le motif invariable de Cé papier qui tapisse les murs de notre chambre est maintenant pour nous une touffe d’herbe au flanc d’un précipice. Sans ce papier il y a longtemps qu’il n’y aurait plus de murs et nous aimons, nous luttons pour aimer les murs qui nous écoutent. Nous avons beau supputer sans cesse notre fin ici-bas, il nous est impossible de l’aire à un plus haut degré abstraction de toute réalité que ne l’a fait Braque, en se prêtant à ce dernier mensonge de fleurs.

La «réalité »est aux doigts de cette femme qui souffleà la première page des dictionnaires. Mais un jour Braque a eu pitié de la réalité. Pour que tout objet soit à sa place, je ne saurais trop le répéter, il faudrait que chacun de nous y mette du sien. Il y a ces interminables secondes de pose qui durent autant que notre vie. On peut, sans que cela tire à conséquences, renouveler indéfiniment le geste d’offrir un bouquet. Mais c’est beaucoup demander à ce bouquet que de dérober la main qui l’offre, et qui tremble. La main de Braque a tremblé.

Les’ mots, les images, les touchers sont cruels. Je n’écris pas ce que je croyais penser. Le pinceau merveilleux des joncs n’arrive qu’imparfaitement à tracer et à limiter la nappe d’eau. Le chant obscur des oiseaux paraît venir de trop haut dans les bois. Je sais que Braque eut naguère l’idée, de transporter deux ou trois de ses tableaux au sein d’un champ de blé, pour voir s’ils «tenaient >. Ce peut être très beau, à condition qu’on ne se demande pas à quoi, à côté de quoi «tient. » le champ de blé. Pour moi, les seuls tableaux que j’aime, y compris ceux de Braque, sont ceux qui tiennent devant la famine. Je souhaiterais que nul admirateur de Braque ne s’arrêtât à ces réserves. A quoi bon dire que malgré tout, celui dont nous parlons reste le maître des rapports concrets, si difficilementnégligeables, qui peuvent s’établir entre les objets immédiats de notre attention ?

À quelle plus belle étoile, sous quelle 

plus lumineuse rosée pourra jamais se tisser la toile tendue de ce. paquet, de tabac bleu à ce verre vide? Il y a là une vertu de fascination à laquelle je ne demeure, pas plus qu’un autre, étranger. L’amour, je le sais, a de ces piétinements et il esl permis, en certaines circonstances, de songer que rien ne nous est proposé de tel que nous devions à tout prix méconnaître l’amour et ses charmes. Je suis très indulgent. Pourvu qu’une oeuvre ou qu’une vie ne tourne pas à la confusion générale, pourvu que des considérations de la sorte la plus mesquine et la plus basse ne finissent pas par l’emporter sur tout ce qui pourrait me rendre cette vie ou cette •oeuvrevéritablement significativeet exemplaire, je ne demande qu’à respecter et à louer. Plus grande est l’épreuve à laquelle un homme est soumis, plus aussi je lui sais gré d’en sortir vainqueur, et c’est trop juste. Il faut croire que mon temps ne tire pas assez profit de ces vieilles vérités. Les peintres, qui dans la socitté actuelle, subissent à cet égard les plus grandes tentations, me paraissent être, intellectuellement, les sujets auxquels cette critique inorale fondamentale peut le mieux s’appliquer. De là l’intérêt tout particulier qu’il m’arrive de prendre à la lutte qu’ils soutiennent, plus ou moins honorablement, selon qu’ils l’ont plus ou moins grand cas de l’esprit.

Bien ne m’a donné mieux à ré-fléchirque l’attitude de Giorgio de Chirico telle qu’elle s’est définieau cours de ces dernières années. On aurait fort à l’aires’il fallait compter avec toutes les abdications possibles. « La bêtise n’est pas mon fort... O), mais j’entrerai à l’Académie française et l’on m’offrira une épée d’honneur. » L’échelle est depuis longtemps tirée et retirée. Tout l’humour de ceux qui consentent à être l’objet de cette totale confiscation peut traîner dans nos magnifiques corridors son bruit st.upidede chaînes rouillées, ce n’est pas nous qui donnerons l’alarme. Quoi qu’ils fassent, il ne leur appartiendra pas d’alerter l’esprit, d’attenter à la pureté de ce qui s’est d’ores et déjà éloigné d’eux. (A suivre)

André BRETON.

(1) Valéry: l.a soiréeavecM. Teste. ORESTE ET ELECTRE

Chirico.

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