Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/168

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(PREMIER ARTICLE)


L’existence active d’Arthur Rimbaud, appert-il, était comblée de curiosités satisfaites, à bout d’aventures impressionnantes, et elle allait, nous plaît-il croire, s’éprendre, au rêve, des convoités concepts à traduire en une langue visant tous les sens, lorsque — ironie de la fatalité ! — en l’hôpital de la Conception, à Marseille, la mort (1891) vint l’interdire. Il avait trente-sept ans, étant né en 1854 ; trente-sept ans, c’est-à-dire l’âge où l’homme vient de prendre à peine conscience de soi, de ses forces, de ses possibilités.

Une double, initiale et finale, et inquiétante ressemblance, en outre de l’amitié, en outre de la fusion de leur génie, apparente ces deux grands poètes : Rimbaud et Verlaine. Fils, chacun, d’officier, ils moururent des suites d’un mal identique. Leur vie respective fut des plus chavirantes, parce que des plus remplies : nefs en révolte, douloureusement belles ! Tous deux s’étaient prédits ; l’un par :


Mon âme pour d’affreux naufrages appareille ;


l’autre par ce Bateau ivre où, entre tous vers miraculeux et prophétiques, ceux-ci :


Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets.


En toute sincérité dûment respectueuse et enthousiasme vraiment admiratif, nous avons naguère, ici même, en cette Revue blanche, profilé sur le tableau noir de notre époque la silhouette vraie de Paul Verlaine ; notant, au cours du trait, la décisive influence qu’eut sur l’auteur des Romances sans Paroles celui des Illuminations. Nous voudrions, à présent, rendre à Arthur Rimbaud un hommage de meme qualité ; ayant eu la joie de communiqués précieux le regardant, communiqués précis aussi et qui documentent à souhait et en force notre respect et notre admiration d’abord instinctifs pour lui.

Mais la tâche en demeure, peut-être, un peu encore trop ardue à qui, comme nous, ne la personnellement connu qu’à travers soi-même et sur des rapports, d’ailleurs, plutôt déjà subjectifs ? Cependant, assumée, cette tâche sera toujours, de notre part, un acte de piété dont les pieux de la divine mémoire nous sauront assurément gré, même si quelque légère erreur «le fait, une inexacte interprétation psychologique, de malheur, s’y glissaient, motifs à blâme ou grief pour d’aucuns méticuleux dont nous déclarons d’avance n’avoir cure !


Le public, s’il n’était aussi sceptique et ne voulant penser jusqu’au fond, s’il n’était accoutumé de boniments et de fausses complaisances, le public, disons-nous, par ce qu’en a écrit Verlaine, connaîtrait Rimbaud, ce géant à face d’ange en exil, ce