Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/117

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ne le fut plus à l’autre. Au temps de la République son esprit vécut d’hellénisme, et d’asiatisme après les Antonins. Les Arméniens maintinrent seuls l’unité de Byzance. Alors comment définir la patrie romaine, ce phénomène historique le plus complet et le mieux connu, depuis son origine jusqu’à sa déhiscence ? La patrie, à l’origine, désigne le territoire de la gens. Les chefs de tribu, besoin ou ambition, tentent d’accroître leur propriété. Ils conquièrent, ils asservissent. Lorsque le vaincu est nombreux, un contrat est passé avec le vainqueur. Les lois forment le premier lien de la nationalité qui peut grandir sans limites par annexions successives. Le désir de propriété pousse les chefs d’un peuple fort à multiplier leurs ressources en hommes (producteurs, soldats), en sols fertiles. La nationalité définit donc une agglomération momentanée de races vivant dans un même territoire, et régies par de mêmes lois. Cela ne présente rien de stable ni d’intangible. L’histoire sur ce point exprime une seule chose : sa loi générale sociologique montre que la tentative des sociétés humaines vise, pour chacune, à progresser de la moindre patrie à la plus grande, sans distinction de races, de mœurs, ou de climats. Il s’agit donc de voir cela clairement, et de fondre le plus possible les nationalités en une seule qui, les unissant, faciliterait les rapports des provinces et l’altruisme des individus. À cette tâche peinèrent les civilisations de Chaldée, de Chine, d’Inde, d’Egypte, de Rome. En ce temps l’Angleterre recommence l’œuvre d’unifier le monde. Qu’importent, auprès de ce gigantesque labeur, les soucis patriotiques ?

— Aussi, répliquai-je, vous interdisez par la torpille et le bombardement aérien l’intrusion de l’étranger dans le domaine de la Dictature…

— Parce que nous ne voulons pas que l’on vienne corrompre les âmes faibles, ici, ni que l’on vende, ni que l’on achète.

— Ni que l’on viole des coutumes qui constituent une patrie et une nationalité dont voici les défenseurs, si je ne me trompe.

Je désignai une troupe en marche. Coiffés de casques bas en cuir noir, vêtus d’un dolman brun, de braies semblables à celles des zouaves et brunes aussi, de hautes guêtres et de souliers fauves, les soldats, sous des havresacs évidemment peu lourds, marchaient prestement par grandes enjambées sautillantes, en quintuple file. Il en défila beaucoup, ils chantaient des hymnes assez beaux. Les fantassins étaient les plus grands, et les cavaliers les plus petits des hommes. Je m’en étonnai.

— C’est pourtant simple, dit Théa. Les grands, les solides gaillards supportent mieux la marche et la charge du sac. Au contraire, les gens de courte taille fatiguent peu les chevaux par leur poids. Aussi obtient-on le maximum de mobilité dans les deux armes. Ce sont des femmes militaires qui conduisent les voitures des régiments, les caissons à cartouches, et les équipages d’ambulance voyez donc !