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— Adam et Eve vécurent en béatitude tant qu’ils ne s’inquiétèrent pas de juger. Ils acceptaient comme une splendeur l’équilibre entre la vie et la mort qui engendre la vie de sa corruption fertile. Ils admiraient et adoraient. Mais le serpent Nakasch, leur instinct, conseilla la volonté d’Eve, et lui vanta la précellence de la vie sur la mort. « Car, disait-il, en prolongeant la vie individuelle, Eve et Adam prolongeront la jouissance égoïste, et la vie sera le bien, et la mort sera le mal. » Adam et Eve perdirent toute confiance dans la mort, quand ils eurent goûté le fruit offert par le mensonge du serpent, leur instinct. Ils méconnurent aussitôt le bonheur d’admirer l’Harmonie du Monde. Ils restreignirent à eux leurs vues, leurs admirations, et leurs soins. Ils s’aperçurent de leur réalité chétive, de leur nudité, de leur faiblesse ; et ils se cachèrent avec des feuilles de figuier, pour que les autres Forces ne leur fissent pas honte. La préoccupation d’exister longuement comme individus leur fit perdre le sens de la vie éternelle et divine où les forces s’entrecroisent, se heurtent et se transforment et périssent sans jamais mourir. Pour défendre leurs vies, ils admirent la haine. Ils distinguèrent le Bien du Mal, ce qui les aidait de ce qui leur nuisait. Adam et Eve perdirent la félicité du paradis.

La jeune enfant d’une quinzaine d’années répéta la leçon, sans trop de fautes, les yeux attachés au stuc bleu qui recouvrait le sol.

— Il ne faut pas craindre la mort ? reprit l’institutrice.

— Il ne faut pas craindre la mort, dirent ensemble les cent voix des disciples, sur un ton joyeux.

— Pourquoi ne faut-il pas craindre la mort ?

— Il ne faut pas craindre la mort, répondit une grasse petite blonde au signe de la maîtresse, parce que l’idée est immortelle, et que notre conscience faite d’idées unies est immortelle.

— L’âme est donc immortelle ?

— L’âme de l’humanité est immortelle, reprirent en chœur les cent voix joyeuses des enfants, et leurs petites mains tracèrent un centuple signe de croix.

— Comment expliquez-vous que l’idée est immortelle ?

— Les philosophes de notre temps continuent seulement l’évolutionnisme des sages d’Ionie, le perpétuel devenir des grecs. À travers les races, les idées grandissent, siècle par siècle. Elles s’expriment par la bouche de l’Homme, par le développement des cités, par l’amour social qui multiplie la présence des hommes dans les cités, par les raisons des guerres, par celles du conflit social. L’Idée est Dieu.

Levées, l’une après l’autre, sur le gradin, les jeunes filles continuèrent :

— Le Père est la cause inconnue des causes, l’œuf des lois universelles, le centre qui se développe jusqu’aux limites infinies de la sphère. Il existe, centre, parce que coexiste la sphère. Il est le centre et la périphérie, le commencement et la fin.