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la revue blanche

La lumière est active et l’ombre est passive et la lumière n’est pas séparée de l’ombre mais la pénètre pourvu qu’on lui donne le temps. Des revues qui ont publié les romans de Loti impriment douze pages de vers de Verhaeren et plusieurs drames d’Ibsen.

Le temps est nécessaire parce que ceux qui sont plus âgés que nous — et que nous respectons à ce titre — ont vécu parmi certaines œuvres qui ont pour eux le charme des objets usuels, et ils sont nés avec une âme qui était assortie à ces œuvres, et garantie devant aller jusqu’en l’an mil huit cent quatre-vingt… et tant. Nous ne les pousserons pas de l’épaule, n’étant plus au xviie siècle ; nous attendrons que leur âme raisonnable par rapport à elle-même et aux simulacres qui entouraient leur vie, se soit arrêtée (nous n’avons pas attendu d’ailleurs), nous deviendrons aussi des hommes graves et gros et des Ubus et après avoir publié des livres qui seront très classiques, nous serons tous probablement maires de petites villes où les pompiers nous offriront des vases de Sèvres, quand nous serons académiciens, et à nos enfants leurs moustaches dans un coussin de velours ; et il viendra de nouveaux jeunes gens qui nous trouveront bien arriérés et composeront pour nous abominer des ballades ; et il n’y a pas de raison pour que ça finisse.

Alfred Jarry