Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/264

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ne voudraient le faire croire les détracteurs ; sauf quelques exceptions, moindres qu’en tout autre régime, les mains restèrent nettes. L’administration fut pure fantaisie, mais, je le demande à tout homme de bonne foi, pouvait-elle être autre chose ?

L’incapacité explicable, l’impuissance évidente firent que Paris, qui était tout entier pour la Commune au dix-huit mars, s’en était complètement détaché en mai. Cette situation accroît l’horreur des atrocités commises par les assaillants, et continuées par les conseils de guerre. On eût pu reprendre la capitale à moins de frais, et éteindre la guerre civile sous moins de sang. C’est ce qu’on ne voulait pas. M. Thiers fut le grand coupable, et est resté le grand responsable. Il eut dix occasions de traiter, il voulut un massacre.

III Le massacre ne fut pas seulement un crime, il fut pour la réaction elle-même une lourde faute. La Commune qui eût sombré dans le ridicule prit une hauteur tragique. L’assassinat de tant de prolétaires cimenta la République. Il s’est élevé de ce charnier une vapeur, qui dissipée, montra le socialisme plus fort qu’il n’avait jamais été, et la question sociale plus vivante, plus inévitable. Les morts sont terribles en politique, et les St-Barthélemy toujours bêtes. À la vérité, la bourgeoisie s’est depuis ce moment reconstituée, et le prolétariat devenu défiant ne demandera plus son triomphe à une lutte inégale. Mais, et c’est là le point grave, les classes se sont à tout jamais divisées. Le parti ouvrier est né. Un immense fossé le sépare de ce qu’on a appelé autrefois les dirigeants, et sur ce fossé il n’y a plus de pont. Nous ne verrons plus, comme le prédisait Hugo, frissonner les grands chênes, ainsi qu’au temps où riches et pauvres marchaient en se donnant la main à la conquête de la liberté. Ce que verront nos neveux, ce sera l’âpre combat de tous les appétits contre toutes les jouissances, la lutte constante et farouche du haillon contre le drap fin, de la masure contre le palais, de la poche vide contre la poche pleine.

Nous sommes entrés dans l’ère de ces querelles pour la vie, dont hélas ! meurent les nations.


M. Edouard Lockroy
aujourd’hui député, ancien ministre.

La question que vous m’adressez demanderait une réponse de plusieurs volumes. Vous m’excuserez de ne les pas écrire. C’est en effet, une partie des plus intéressantes et des plus complexes de l’histoire contemporaine que l’histoire de la Commune et pour dire les causes de cette révolution, pour en analyser les motifs, pour en peindre les personnages, pour en étudier les répercussions il faudrait plus de papier que La Revue Blanche n’en peut mettre à mon service et plus de temps aussi que je n’en ai. Des écrivains comme C. Pelletan, Claretie, Lissagaray ont déjà entrepris ce récit. Que pourrais-je